jeudi 1 novembre 2007

Rideau


Rideau




Ophélie s’approcha jusqu’à l’endroit où la terre s’enfonçait sous l’eau. Les premières vaguelettes lui léchèrent les orteils. Elle attendit. Cet arrêt ne marquait pas une hésitation. C’était plutôt la dernière inspiration d’un plongeur qui va tenter de battre un record d’apnée. Elle savait que si elle ne bougeait pas, la mer la prendrait. Pour que ce soit une rencontre mutuelle, il fallait qu’elles aillent l’une vers l’autre. Ophélie fit un pas ; la mer caressa ses chevilles.


Le ciel était gris et semblait écraser la terre de tout son poids, comme dans un poème de Baudelaire. Des oiseaux noirs tournoyaient dans le ciel en poussant des cris stridents. Derrière elle se dressait la falaise, sombre et dure. Le vent charriait une odeur d’algues en décomposition. Un goût de sel persistait sur ses lèvres. Sous la plante de ses pieds, elle pouvait sentir le sable aller et venir. L’eau montait ; Ophélie avança encore un peu ; elle atteignit ses genoux.


Les cris des oiseaux disparurent brusquement sous le grondement du ressac s’attaquant aux rochers. Le vent changea de direction et l’odeur des algues fut remplacée par l’iode marin. La brise froide faisait voleter ses cheveux noirs. Au loin, elle pouvait voir des moutons blancs se former sur la crête des vagues. Sa conscience s’éparpilla aux quatre coins du globe. Ophélie laissa l’eau lui monter jusqu’à la taille.


Sa robe flottait autour d’elle, seule tache blanche dans un monde de grisaille, se gonflant sur l’eau comme une crinoline. Le vent battait cette voile inutile, marquant chaque vague d’un coup de cymbale étouffé. La marée continuait son inexorable travail de conquérante. Ophélie fit un pas de plus ; les bras de la mer lui encerclaient les épaules et elle pouvait sentir le grand froid monter en elle, comme Socrate avait dû sentir la mort monter jusqu’à son coeur après avoir bu la ciguë.


Le bruit du ressac enfla, s’insinua dans sa tête jusqu’à en occuper tout l’espace. Son esprit n’était plus qu’un long, immense et infini grondement, son corps, une vibration qui suivait la pulsation sourde de la mer. Elle commença à se balancer doucement, comme pour en mieux suivre l’harmonie monotone. La mer appuya ses caresses, remonta lentement, effleura son cou. Le bruit devint insoutenable ; Ophélie avança et perdit définitivement pied.


Elle entra dans un monde de silence, se replia sur elle-même en position foetale. La mer la berçait doucement. Sa robe se déploya à la manière d’une méduse, gracieuse et fragile à la fois. Ses cheveux ondulaient doucement à côté d’elle, lui caressant parfois les joues au gré des courants marins. Ophélie se mit au diapason avec le calme qui régnait ici et prit une profonde inspiration. Son âme enfin vide se détacha du corps et se dissolut tout à fait.


Dehors, le ciel pleurait.



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