dimanche 4 novembre 2007

Fil rouge

Fil rouge



De brusques aspirations et une odeur d’air qui emplit les poumons, les inonde, les noie. L’air qui passe et repasse, qui entre et sort, rien que de l’air, aspiré comme un ultime recours. D’abord longuement, lentement, puis de plus en plus vite. Il entre et sort. Entre et sort. Respiration de la panique qui commence à se répandre. Très légère senteur saisie au passage. Quelque chose de froid, d’artificiel, de vaguement mentholé. Une odeur synthétique. Après-rasage ou savon. Sueur aussi, montant peu à peu aux narines. Acre, puissante, désagréable. Odeur de bête. Des saucisses grillées qui passent ironiquement par la fenêtre. Chair cuite, barbecue, feu de bois. Elles s’insinuent, se mêlent aux autres, innocentes et pourtant presque coupables. L’air qui entre sort, entre et sort, de plus en plus rapidement, par secousses, et qui finit par noyer tout le reste.

Bruit de deux respirations, l’une très calme, l’autre qui s’affole de plus en plus, devient sifflante et paraît résonner dans ce cruel silence. Le coeur qui bat si fort que ses battements parviennent jusqu’aux oreilles. Basse obstinée au rythme régulier, tempo rapide fragmentant une durée qui, elle, semble s’allonger dans un ralenti indéfini qui se délite petit à petit, horriblement. Puis des bruits sourds, étouffés par le froissement des vêtements ; des bruits mats, pleins, sourds parce qu’ils sont pleins. Craquements presque imperceptibles, aussi affreux que le reste, mais qui n’en sont que la conséquence. Plaintes, gémissements qui n’osent ni s’affirmer et ni s’aventurer loin de ce qui les a émis, par crainte. Et l’absence de paroles qui surplombe le tout, vide immense qui aspire ce qui aurait pu être dit, comme un gouffre.

Chute sur le carrelage, son froid contrastant avec la chaleur du front qui s’y écrase, surface lisse et dure où s’aplatit une joue et qui n’offre aucun refuge. Mains qui cherchent une prise et qui ne peuvent que glisser dessus. Des mains moites, meurtries, recroquevillées, comme le corps qui vient de tomber, et qui cherchent à se protéger, à échapper, mais qui ne font que renouveler sans cesse le contact avec la froideur et la dureté du sol, tandis qu’au-dessus, la peau douce rougit, bleuit et se fend. Chaleur du sang qui tombe goutte à goutte et forme de petits tas poisseux et glissants qui s’étalent doucement. Douleur qui envahit le corps jusqu’à ne plus faire qu’un avec lui, jusqu’à être lui. Le choc qui s’enfonce toujours plus loin, qui brise les obstacles sur sa route, se retire et revient. Une douleur qui vient s’ajouter alors qu’on pensait ne pas pouvoir souffrir plus. Un instant de répit où elle diminue un peu, puis une autre qui vient s’ajouter. Encore et encore et encore.

La bouche qui devient brusquement sèche, la langue qui passe et repasse, en quête d’humidité, qui a du mal à bouger et semble se coller au palais. La salive a préféré s’enfuir, a tout déserté. Puis des remontées de bile, qui, lentement, se fraient un chemin et accentuent la sensation de sécheresse une fois qu’elles se sont retirées. L’estomac qui s’était un instant douloureusement contracté, recroquevillé sur lui-même, paralysé par la peur, et qui à présent n’en finit pas de se retourner. Goût à la fois âcre et acide en bouche, qui ronge de l’intérieur, paraît de jamais devoir disparaître, mais qu’il faut refouler, avaler. Et puis soudain, celui du sang, épais, écoeurant, omniprésent. Il suinte des dents malmenées, coule des lèvres fendues, fait horriblement disparaître une sécheresse presque regrettée et se mêle ensuite à la poussière, après la chute au sol. Les deux se forcent un passage pour s’insinuer dans la gorge et font remonter la bile, de dégoût cette fois-ci.

Enfin, les formes qui prennent une netteté atroce et deviennent floues la seconde d’après. Le monde habituel, rassurant, s’échappe lui aussi, de plus en plus lointain, laisse la place à un univers de cauchemar beaucoup trop réaliste. Ses couleurs éclatantes, aveuglantes, blessent les yeux, se fondent les unes dans les autres, entament une douloureuse ronde. Elles ne sont plus qu’une immense palette indistincte où rien n’a d’existence propre, puis rapetissent jusqu’à ce que le noir domine. De brefs passages d’obscurité suffisant à désorienter, à détruire le peu de solidité qui restait. Des passages qui deviennent de plus en plus fréquents, mais pas assez pour atténuer le choc d’un monde qui revient à la charge et rappelle la réalité. Les yeux qui errent, qui regardent partout sauf devant eux, un peu comme au début, mais sans aucun espoir. L’espoir est parti avec les rassurantes habitudes. Car quand les pupilles fixent à nouveau le futur immédiat, elles ne voient aucun secours, mais toujours ces coups qui seront niés ou passeront pour de l’ « amour ».

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