lundi 26 novembre 2007

Dead can dance, "The Wind that shakes the barley"

Dead can dance
The Wind that shakes the barley


Reprise par Lisa Gerrard de la célèbre chanson irlandaise, dont le titre est aussi celui du dernier film de Ken Loach, palme d'or au Festival de Cannes 2006.







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I sat within the valley green,
I sat me with my true love.
My sad heart strove the two between
The old love and the new love :
The old for her, the new that made
Me think on Ireland dearly,
While soft the wind blew down the glade
And shook the golden barley.

T'was hard the woeful words to frame
To break the ties that bound us,
But harder still to bear the shame
Of foreign chains around us.
And so I said : "The mountain glen
I'll meet at morning early
And I'll join the bold united men,
While soft winds shake the barley."

T'was sad, I kissed away her tears,
My fond arm round her flinging,
When a foe, man's shot burst on our ears
From out the wild woods ringing.
A bullet pierced my true love's side
- In lifes young spring so early ! -
And on my breast, in blood, she died,
While soft winds shook the barley.

But blood for blood, without remorse,
I've ta'en at oulart hollow.
I've lain my true love's clay like corpse
Where I full soon must follow.
Around her grave I've wandered drear,
Noon, night and morning early,
With breaking heart whene'er I hear
The wind that shakes the barley.

mercredi 21 novembre 2007

Incident ministériel

Incident ministériel


"Monsieur le Ministre a disparu !"

Le gros homme qui avait surgi dans le bureau du chef de la sécurité en perdait le souffle. Plus il essayait d’aspirer de l’air par la bouche, plus il semblait en manquer et son visage prenait petit à petit une teinte des plus cramoisies, qui seyait particulièrement bien à son costume d’homme en noir. De grosses gouttes de sueur, coulant le long de son front et de ses énormes bajoues - causées pas l’angoisse ou par l’effort surhumain qu’il venait de faire ? - menaçaient, dans leur chute, non pas de former une mare sur le sol - car elles auraient été inévitablement arrêtées par le pli magistral que faisait son estomac -, mais bel et bien de détremper sa cravate de soie jaune, qui disparaissait déjà sous le quadruple-menton de l’énergumène. Amédée Labrunie n’avait jamais été mince, il est vrai. Depuis ses six ans, il avait un petit faible pour le cassoulet et se voyait parfois réduit à le manger en conserve, lorsqu’il sentait que son envie ne lui permettrait pas de patienter les deux jours qu’en nécessitait la préparation. Ce qui arrivait assez souvent, pour être honnête. Il avait cependant fini par trouver la bonne technique : une boîte le premier jour, le véritable cassoulet le second. Cette particularité gastronomique ne lui avait jusqu’ici pas posé de problèmes, mais maintenant qu’il avait fallu traîner - péniblement -, au pas de course, ses quelques cent cinquante kilos, il regrettait amèrement de s’être resservi trois fois à midi. Mais c’était à cause de l’appel des saucisses de Toulouse... Il n’avait pas pu résister.

L’homme bodybuildé qui lui faisait face pensa en le voyant que c’était bien sa veine qu’il arrive quelque chose précisément aujourd’hui, jour de sa séance d’haltérophilie. Il détestait la manquer ; ça le rendait irritable et après, il se faisait gronder par sa mère parce qu’il n’était pas de bonne humeur pour promener Kiki, son hargneux petit caniche, lavé et bouclé de frais, comme chaque semaine, chez « Toutoubeau », le toiletteur du bas de la rue. Cela perturbait le pauvre animal, disait-elle, et ensuite, il avait des problèmes de digestion. La vérité, c’était qu’être abandonné sur le bord de l’autoroute était encore trop sympa pour l’infâme bestiole... Alors l’autre estomac à roulette, qui débarquait dans son bureau en hurlant et glapissant des idioties, n’était pas tout à fait la personne qu’il aurait aimé voir à ce moment-ci de la journée, c’est-à-dire à dix-sept heures cinquante-quatre minutes et treize secondes. D’autant plus que ce n’était pas la première fois qu’il y faisait une entrée fracassante. Il s’était même surpassé aujourd’hui. A huit heures, il était venu demander si quelqu’un surveillait les toilettes, des fois que les journalistes de la presse à scandale, vous comprenez, décident de prendre une photo de M. le Ministre dans une posture très humaine, certes, mais également embarrassante pour sa fonction. A dix heures, il avait exigé que l’on double la garde à l’entrée, l’entarteur fou ayant exprimé plus que clairement ses intentions malveillantes. A midi, il l’avait prié d’aller vérifier si ce n’était pas ce même entarteur fou qui venait livrer le plateau-repas du ministre. Après la pause-déjeuner, il était venu vérifier que le chef était bien revenu à sa place pour assurer la sécurité, et enfin, à seize heures, il s’était fait expliquer, en long, en large et en travers, la procédure à suivre en cas d’attaque nucléaire par des terroristes. A croire qu’il était tombé amoureux de lui, Séraphin Agnelle. En plus, cette fois-ci, il n’était même pas ponctuel ; il aurait dû arriver à dix-huit heures précises, pour lui annoncer d’un air important qu’il pouvait s’en aller, qu’à présent, il se chargerait lui-même de la protection du Grand Homme. Le vigile aurait bien aimé savoir comment...

"Mais vous m’avez compris ?! Alerte générale !!! Monsieur le Ministre a disparu !!! Mobilisez tous vos collègues, la police, la gendarmerie, la garde républicaine ! Appelez une ambulance ! Je l’ai laissé seul une minute, une seule, une toute petite minute, je ne l’avais pas quitté des yeux de toute la journée ( "menteur, pensa l’autre ; et toutes tes amicales petites visites à l’improviste ?" ) et quand je suis revenu, il avait disparu, volatilisé !!! Vous m’entendez ? Il-faut-que-vous-fassiez-quelque-chose-c’est-la-sûreté-de-l’état-qui-en-dépend !"

Agnelle le regarda d’un air sceptique.

"Vous êtes sûr qu’il n’avait pas une bonne raison de s’absenter quelques instants, votre ministre ? Je ne sais pas, moi, un coup de fil personnel à passer ?

- Non non c’est impossible je le connais trop bien il me l’aurait dit c’est un attentat terroriste un coup d’Al Quaïda ou pire de George Bush !!! Il y a urgence ! Vitevitevitevite !!!"

Un peu plus et le bon gros risquait l’apoplexie, le crise cardiaque, la grande lumière blanche et couic ! plus rien. Il fallait avouer que la tentation était grande de le laisser s’énerver là jusqu’à ce que l’irréparable se produise... Mais d’un autre côté, un mort de cent cinquante kilos dans son petit bureau risquait de faire tâche. Et puis l’idée de l’effort qu’auraient à faire les malheureux brancardiers qui emporteraient son cadavre faisait vraiment de la peine au garde, qui finit par prendre son talkie-walkie pour contacter ses hommes :

"Allô, Fraise des bois ? Ici Marguerite. Avez-vous vu le Castor en chef ? Je répète : avez-vous vu le Castor en chef ? Quoi ? Vous n’êtes pas Fraise des bois, mais Pâquerette poussant dans la prairie ? C’est quoi, ce bordel ? Vous avez changé de nom de code ? Parce que vous trouviez que « Fraise des bois » n’était pas assez viril ??? Nom de Dieu, Dupont, si vous continuez comme ça, je vous colle à la promenade du chien de Madame la ministre et ça va pas tarder !! ( Le gros, affolé, commença à lui donner des coups de coude ; Agnelle s’écarta avec dégoût et continua : ) Bon, vous avez vu le Castor en Chef, oui ou merde ?!!! « Merde » ??? Comment ça « merde » ? Ça veut dire « non » ? Dupont, je n’aime pas les petits malins ; vous passerez me voir dans mon bureau, demain, huit heures."

Labrunie se dandinait de droite à gauche, comme s’il avait eu envie d’aller aux toilettes. Le garde passa sur un autre canal :

"Allô, allô ! Lilas odorant, répondez ! ( Son ton devenait de plus en plus rogue ) Lilas odorant, je vous préviens que si vous ne répondez pas, je vous colle à la promenade du chien de Madame la ministre avec... Ah bah quand même ! Vous êtes là ! C’est pas trop tôt ! Comment ? Il n’y a pas de besoin pressant qui tienne ! Quand on est chargé de la si haute mission de veiller sur le couloir quatre, porte six, du bâtiment B, on se retient ! Et qui est-ce que j’entends glousser derrière vous ? Hein ? C’est Fraise des bois ? Vous vous foutez de moi, là ! C’est plutôt Belle des champs, m’est avis, parce que c’est une voix de femme ! Ne cherchez pas à vous justifier : je sais reconnaître un gloussement féminin quand j’en entends un, merci ! ( Le gros s’agrippa au bureau, à la manière de quelqu’un qui va tomber dans le coma d’une minute à l’autre ) Vous avez vu le Castor en chef ? Comment ça, « le gros en noir » ? ( L’autre prit un air offensé, ce qui, ajouté à son visage ruisselant, le rendait encore plus comique ) Non, pas lui ; son patron !!! R.A.S ? Il vous en a fallu, du temps ! Vous serez dans mon bureau, demain, à huit heures cinq ! Il me semble qu’une petite conversation s’impose, entre vous et moi..."

Le gros se mit à hoqueter, tandis qu’Agnelle tentait l’ultime recours :

"Allô, Pissenlit lumineux ? Ah ! Vous, au moins, vous êtes à votre poste. Enfin quelqu’un de fiable ! On ne peut pas en dire autant de tout le monde... Bon, mon petit, avez-vous vu le Castor en chef ? Comment ça, « qui » ? Le Castor en chef ! Mais non, pas le gros en noir ! Décidément, c’est une maladie ! Il faudra que je vous rappelle à tous que lui, c’est « Saucisse virevoltante » ! ( Le visage du gros devint résolument hostile ) Euh... oui, euh... bon, avez-vous vu le Castor en chef ? Comment ça, « vous n’avez aucune idée de qui c’est » !!! Mais ce n’est pas possible !!! Je suis entouré d’une bande d’incapables !!! Le mi-nis-tre ! Avez-vous vu le ministre, bon sang de bois !!! Non plus ? ( Labrunie manque de défaillir ) Je veux vous voir dans mon bureau, demain, huit heures dix ! Compris ?"

Il se tourna vers l’autre, qui tanguait dangereusement.

"Bon, aucun garde en faction ne l’a aperçu. Mais ça ne veut rien dire. Il peut être...

- Appelez la police, l’armée, les services secrets !!! s’égosilla l’obèse, dès qu’il eut retrouvé sa voix. Oh la la... Comment vais-je annoncer ça au chef du gouvernement ? au Président ? On a enlevé Monsieur le Ministre ! Ils sont peut-être déjà en Colombie à l’heure qu’il est ! Ils vont le torturer, nous envoyer une demande de rançon et comme l’Etat français ne voudra pas céder au chantage, ils l’abattront d’une balle dans la nuque et laisseront pourrir son cadavre dans la jungle, à la merci des jaguars et autres bestioles dangereuses !!! Et tout ça à cause de moi !!! Ma carrière est fichue, ils vont me tenir pour personnellement responsable de... ( son regard tomba sur le chef de la sécurité ) Mais non, pas moi ! A dix minutes près, c’était encore à vous de veiller sur lui !

- Hé ho, pas de blagues ! répondit Agnelle qui n’appréciait certes pas la plaisanterie. D’abord, ce n’étaient pas dix, mais six minutes, et ensuite, moi, j’ai fait mon boulot ! J’ai mes gars en surveillance et je visionne les caméras toute la journée ! Et je n’ai rien vu ! Alors n’essayez pas de m’embarquer dans vos histoires, compris ?!

- Vos « gars en surveillance » ? Quel sens de l’humour ! Ils font tout, sauf surveiller ! Ils ne connaissent même pas vos codes idiots ! A ce propos, ça ne va pas se passer comme ça ! Je n’ai absolument pas apprécié le coup de la « Saucisse virevoltante » ! De toutes façons, je savais depuis le début que vous étiez un incapable ! A tel point que je suis obligé de passer régulièrement pour vérifier si vous êtes bien à votre poste ! Monsieur le Ministre disparaît et vous ne voyez rien ! Oui, un incapable ! C’est tout ce que vous êtes !

- Oh ! pas de ça chez moi ! s’exclama le garde, qui s’énervait. Si je suis un incapable, vous savez ce que vous êtes ? Un in-com-pé-tent ! Parfaitement ! Un incompétent ! Vous passez votre temps à brasser de l’air ! Il est vrai que c’est un incroyable exploit, vu toute la graisse que vous avez à promener, mais s’il y a UNE chose de sûre dans ce ministère, c’est que si vous restiez dans votre petit bureau de gratte-papier, au lieu de venir nous emmerder, tout le monde serait content ! Oui monsieur ! Tout le monde !

- Espèce de... Espèce de... commença le gros, qui de nouveau, n’arrivait plus à respirer. Espèce de cloporte !

- Fonctionnaire !

- Analphabète !

- Impuissant !"


Cette charmante conversation aurait pu durer longtemps encore, si, tout à coup, la porte ne s’était ouverte.

"Mais qu’est-ce que c’est que ce chahut ? demanda une voix calme et posée. On vous entend jusque dans mon bureau.

- Mon... monsieur le Ministre ? s’écria Labrunie, l’air d’avoir vu un fantôme. Vous êtes là ?

- Vous n’êtes pas en Colombie ? lui fit écho Agnelle, tout aussi abasourdi.

- Bien sûr que je suis ici, répondit le ministre. Où vouliez-vous que je sois ?

- Mais... mais... balbutia son secrétaire, tout à l’heure... vous aviez disparu... je ne vous trouvais plus...

- Tout à l’heure ? Mais je suis allé aux toilettes ! C’est la nature, ce n’est pas défendu ! N’est-ce pas, Agnelle ? ( le susnommé acquiesça en se mettant au garde à vous ) J’ai d’ailleurs rencontré dans le couloir un journaliste, dont j’ai eu un mal fou à me débarrasser. Au fait, vous n’auriez pas vu ma dactylo ? Je pense qu’elle flirte avec l’un de vos gardes en faction. D’habitude, ça ne me dérange pas, mais là, j’ai des lettres à lui dicter..."

Il s’arrêta de parler, se rendant brusquement compte de l’air abruti qu’arboraient ses deux interlocuteurs.

"Dites-moi, vous deux, demanda-t-il, qu’est-ce qui vous arrive ? Vous avez vraiment l’air bizarres. Complètement à côté de la plaque, pour tout dire. Vous n’avez tout de même pas fumé quelque chose d’illégal ? J’ai remarqué que vous vous voyiez souvent, dans la journée. Pas de bêtises, hein ? Sinon, je vous préviens, ce sera dans mon bureau, demain, huit heures ! Le chien de ma femme a besoin de quelqu’un pour le promener..."

mardi 13 novembre 2007

Saint-Exupéry, extrait de "Les Hommes" in "Terre des hommes"


Pour comprendre l'homme et ses besoins, pour le connaître dans ce qu'il a d'essentiel, il ne faut pas opposer l'une à l'autre l'évidence de vos vérités. Oui, vous avez raison. Vous avez tous raison. La logique démontre tout. Il a raison celui-là même qui rejette les malheurs du monde sur les bossus. Si nous déclarons la guerre aux bossus, nous apprendrons vite à nous exalter. Nous vengerons les crimes des bossus. Et certes les bossus aussi commettent des crimes.
Il faut, pour dégager cet essentiel, oublier un instant les divisions, qui, une fois admises, entraînent tout un Coran de vérités inébranlables et le fanatisme qui en découle. On peut ranger les hommes en hommes de droite et en hommes de gauche, en bossus et en non bossus, en fascistes et en démocrates, et ces distinctions sont inattaquables. Mais la vérité, vous le savez, c'est ce qui simplifie le monde et non ce qui crée le chaos. La vérité c'est le langage qui dégage l'universel. Newton n'a point "découvert" une loi longtemps dissimulée à la façon d'une solution de rébus, Newton a effectué une opération créatrice. Il a fondé un langage d'homme qui pût exprimer à la fois la chute d'une pomme dans un pré ou l'ascension du soleil. La vérité, ce n'est point ce qui se démontre, c'est ce qui simplifie.
A quoi bon discuter les idéologies ? Si toutes se démontrent, toutes aussi s'opposent et de telles discussions font désespérer du salut de l'homme. Alors que l'homme, partout, autour de nous, expose les mêmes besoins.
Nous voulons être délivrés. Celui qui donne un coup de pioche veut connaître un sens à son coup de pioche. Et le coup de pioche du bagnard, qui humilie le bagnard, n'est point le même que le coup de pioche du prospecteur, qui grandit le prospecteur. Le bagne ne réside point là où des coups de pioche sont donnés. Il n'est pas d'horreur matérielle. Le bagne réisde là où des coups de pioche sont donnés qui n'ont point de sens, qui ne relient pas celui qui les donne à la communauté des hommes.
Et nous voulons tous nous évader du bagne.

Saint-Exupéry , extrait d' "Au centre du désert" in "Terre des hommes"


( Le narrateur s'est écrasé dans le Sahara avec son radio et pense qu'ils vont tous deux mourir de soif. )



Je ne comprends plus ces populations des trains de banlieue, ces hommes qui se croient des hommes et qui cependant sont réduits, par une pression qu'ils ne sentent pas, comme les fourmis, à l'usage qui en est fait. De quoi remplissent-ils, quand ils sont libres, leurs absurdes petits dimanches ?
Une fois, en Russie, j'ai entendu jouer du Mozart dans une usine. Je l'ai écrit. J'ai reçu deux cents lettres d'injures. Je n'en veux pas à ceux qui préfèrent le beuglant. Ils ne connaissent point d'autre chant. J'en veux au tenancier du beuglant. Je n'aime pas que l'on abîme les hommes.
Moi je suis heureux dans mon métier. Je me sens paysan des escales. Dans le train de banlieue, je sens mon agonie bien autrement qu'ici ! Ici, tout compte fait, quel luxe...!
Je ne regrette rien. J'ai joué, j'ai perdu. C'est dans l'ordre de mon métier. Mais, tout de même, je l'ai respiré, le vent de la mer.
Ceux qui l'ont goûté une fois n'oublient pas cette nourriture. N'est-ce pas, mes camarades ? Et il ne s'agit pas de vivre dangereusement. Cette formule est prétentieuse. Les toréadors ne me plaisent guère. Ce n'est pas le danger que j'aime. Je sais ce que j'aime. C'est la vie.

Baudelaire "La Mort", dernière partie, in "Les Fleurs du Mal"

Ô Mort, vieux capitaine ! Il est temps, levons l'ancre !
Ce pays nous ennuie, ô Mort, appareillons !
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,
Nos coeurs que tu connais sont emplis de rayons !

Verse-nous ton poison, pour qu'il nous réconforte !
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Ciel ou Enfer, qu'importe ?
Au fond de l'Inconnu pour trouver du Nouveau !

Rimbaud Lettre à Paul Demeny, dite aussi "Lettre du Voyant"

- Voici de la prose sur l'avenir de la poésie. -
Toute poésie antique aboutit à la poésie grecque, Vie harmonieuse. - De la Grèce au mouvement romantique, - moyen âge, - il y a des lettrés, des versificateurs. D'Ennius à Theroldus, de Theroldus à Casimir Delavigne, tout est prose rimée, un jeu, avachissement et gloire d'innombrables générations idiotes : Racine est le pur, le fort, le grand. - On eût soufflé sur ses rimes, brouillé ses hémistiches, que le Divin Sot serait aujourd'hui aussi ignoré que le premier venu auteur d'Origines. - Après Racine, le jeu moisit. Il a duré deux mille ans.
Ni plaisanterie, ni paradoxe. La raison m'inspire plus de certitudes sur le sujet que n'aurait jamais eu de colère un Jeune-France. Du reste, libre aux nouveaux ! d'exécrer les ancêtres ; on est chez soi et l'on a le temps.
On n'a jamais si bien jugé le romantisme. Qui l'aurait jugé ? Les critiques !! Les romantiques, qui prouvent si bien que la chanson est si peu souvent l'oeuvre, c'est-à-dire la pensée chantée et comprise du chanteur ?
Car Je est un autre. Si le cuivre s'éveille clairon, il n'y a rien de sa faute. Cela m'est évident : j'assiste à l'éclosion de ma pensée : je la regarde, je l'écoute : je lance un coup d'archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs ou vient d'un bond sur la scène.
Si les vieux imbéciles n'avaient pas trouvé du moi que la signification fausse, nous n'aurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini, ont accumulé les produits de leur intelligence borgnesse, en s'en clamant les auteurs !
En Grèce, ai-je dit, vers et lyres rythmes l'Action. Après, musique et rimes sont jeux, délassements. L'étude de ce passé charme les curieux : plusieurs s'éjouissent à renouveler ces antiquités : - c'est pour eux. L'intelligence universelle a toujours jeté ses idées, naturellement ; les hommes ramassaient une partie de ces fruits du cerveau : on agissait par, on écrivait des livres : telle allait la marche, l'homme ne travaillant pas, n'étant pas encore éveillé ou pas encore dans la plénitude du grand songe. Des fonctionnaires, des écrivains : auteur, créateur, poète, cet homme n'a jamais existé !
La première étude del'homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche son âme, il l'inspecte, il la tente, il l'apprend. Dès qu'il la sait, il doit la cultiver ; cela semble simple : en tout cerveau s'accomplit un développement naturel ; tant d'égoïstes se proclament auteurs ; il en est bien d'autres qui s'attribuent leur progrès intellectuel ! - Mais il s'agit de se faire l'âme monstrueuse : à l'instar des comprachicos, quoi ! Imaginez un homme s'impliquant et se cultivant des verrues sur le visage.
Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant.
Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la forme surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, - le suprême Savant ! - Car il arrive à l'inconnu ! Puisqu'il a cultivé son âme, déjà riche, et quand, affolé, il finirait par perdre l'intelligence de ses visions, il les a vues ! Qu'il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innombrables : viendront d'autres horribles travailleurs ; ils commenceront par les horizons où l'autre s'est affaissé !

[...]

Donc le poète est vraiment voleur de feu.
Il est chargé de l'humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter ses inventions ; si ce qu'il rapporte de là-bas a forme, il donne forme ; si c'est informe, il donne de l'informe. Trouver une langue ;
- Du reste, toute parole étant idée, le temps d'un langage universel viendra ! Il faut être académicien, - plus mort qu'un fossile, - pour parfaire un dictionnaire, de quelque langue que ce soit. Des faibles se mettraient à penser sur la première lettre de l'alphabet, qui pourraient vite ruer dans la folie ! -
Cette langue sera l'âme pour l'âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant. Le poète définirait la quantité d'inconnu s'éveillant en son temps dans l'âme universelle : il donnerait plus - que la formule de sa pensée, que la notation de sa marche au progrès !
Cet avenir sera matérialiste, vous le voyez ; - Toujours pleins du Nombre et de l'Harmonie, ces poèmes seront faits pour rester. - Au fond, ce serait encore un peu la Poésie grecque.
L'art éternel aurait ses fonctions, commes les poètes sont citoyens. La Poésie ne rythmera plus l'action ; elle sera en avant.
Ces poètes seront ! Quand sera brisé l'infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle, l'homme, - jusqu'ici abominable, - lui ayant donné son renvoi, elle sera poète, elle aussi ! La femme trouvera de l'inconnu ! Ses modes d'idées différeront-ils des nôtres ? - Elle trouvera des choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses ; nous les prendront, nous les comprendront.
En attendant, demandons au poètes du nouveau, - idées et formes. Tous les habiles croiraient bientôt avoir satisfait à cette demande. - Ce n'est pas cela !

Rimbaud "Adieu" in "Une Saison en enfer"

Adieu


L'automne déjà ! - Mais pourquoi regretter un éternel soleil, si nous sommes engagés à la découverte de la clarté divine, - loin des gens qui meurent sur les saisons.
L'automne. Notre barque élevée dans les brumes immobiles tourne vers le port de la misère, la cité énorme au ciel taché de feu et de boue. Ah ! les haillons pourris, le pain trempé de pluie, l'ivresse, les mille amours qui m'ont crucifié ! Elle ne finira donc point cette goule plein de millions d'âmes et de corps morts et qui seront jugés ! Je me revois la peau rongée par la boue et la peste, des vers plein les cheveux et les aisselles et encore de plus gros vers dans le coeur, étendu parmi les inconnus sans âge, sans sentiment... J'aurais pu y mourir... L'affreuse évocation ! J'exècre la misère.
Et je redoute l'hiver parce que c'est la saison du confort !
- Quelquefois je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie. Un grand vaisseau d'or, au-dessus de moi, agite ses pavillons multicolores sous les brises du matin. J'ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J'ai essayé d'inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J'ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d'artiste et de conteur emportée !
Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! Paysan !
Suis-je trompé ? la charité serait-elle soeur de la mort, pour moi ?
Enfin, je demanderai pardon pour m'être nourri de mensonges. Et allons.
Mais pas une main amie ! et où puiser le secours ?

mardi 6 novembre 2007

La complainte de la moule

La complainte de la moule


Je suis une moule. Une sombre moule. Une moule d'humeur mauvaise et ironique. Une moule ragnousse et sarcastique.

Le Monde m'en veut.

D'abord, il m'a collée sur un rocher. Pourquoi donc ? Qu'est-ce que j'ai bien pu faire pour mériter ça ? Il y a des jours où, oui, d'accord, je reconnais, je n'ai pas été tout à fait comme il aurait fallu. Ces jours-là, ok, j'ai droit à me prendre une succession de gifles existentielles sur chacune des deux parties de ma coquille. De toutes façons, comme je suis une moule, ce genre de choses ne m'atteint pas beaucoup : je sais que je l'ai mérité et puis, une coquille, comme chacun sait, c'est dur ; ça en voit d'autre. Mais là, franchement, je ne vois pas. Quelque chose d'afférant à mon karma ? A part une larve, je ne vois pas ce que j'aurais pu être dans une vie antérieure. Alors quoi ? ça pèche contre la Vie, une larve ? Elles sont mieux loties que moi, ces bestioles. Ne serait-ce que parce qu'elles bougent un peu. Moi, je suis sur mon rocher ; toujours sur ce satané rocher. Il est moche, en plus. Aujourd'hui, je le trouve moche. Il est froid. Il est rugueux. Il pue la moule. Et moi je suis là, coincée contre une arête, à regarder passer les merlans. Par Neptune ! moi aussi je voudrais sortir un peu de ce coin archi connu où je commence à étouffer. L'eau de mer, ça lasse, à force. J'en ai tous les jours, j'aimerais bien en changer. Je voudrais sentir à mon tour la caresse des algues dans mes filaments. Prendre un peu les courants du large. Mais voilà : je suis une moule. Une moule ne bouge pas. Elle ne bouge pas et, en théorie, elle ne parle pas. Mais bon, hein, vous vous êtes quand même rendus compte que je ne suis pas vraiment une moule comme les autres, j'espère !

Si encore je n'étais pas si seule. Mais va voir derrière les écueils si j'y suis ! que dalle ! néant ! pas une moule ! Mon rocher est désert ; il n'y a personne comme moi. Bon, c'est vrai, j'exagère : dans les environs se trouvent quelques mytiloïdes. Eventuellement, il se pourrait qu'on parle la même langue. Eventuellement. Mais quoi ? des moules, j'en ai ras la cocotte ! J'en suis une, je sais ce que c'est : je dois me supporter toute la journée ! Alors, les autres, elles sont bien gentilles, mais il y a des jours où elles me gonflent. Des jours comme aujourd'hui, par exemple. Ces jours-là, je ne veux voir personne. Je hais les gens. Je hais les moules. Je me hais. Mais surtout, je hais le monde, qui me fait moule aujourd'hui. C'est moche, une moule. C'est petit, de couleur sombre et ça n'a jamais de perle à l'intérieur. Et après, on s'étonne que les merlans préfèrent draguer les huîtres ! Une huître, c'est joli.Ça a des imitations de vagues sur sa coquille, c'est tout nacré à l'intérieur et c'est soi-même d'une jolie couleur entre le gris clair et le vert tendre. Une huître, c'est beau. Une moule, c'est moche. Même cuit, c'est moche. Pis c'est pas bon tout seul. Les huîtres, on peut les manger comme elles sont, à la limite on peut ajouter du citron ou du vinaigre à l'échalotte. Elles sont bonnes en soi. Les moules, elles, doivent faire des efforts. Pour planquer leurs défauts, surtout. Elles se dissimulent dans du vin blanc et du persil, se noient dans de la crème, ornent de bleu leur coquille ( si, si, ça existe, les moules au bleu ! ). Mais quoi qu'elles fassent, elles n'atteindront jamais la classe des huîtres. Une huître est naturellement classe. Une moule, c'est popu, un peu vulgaire. L'huître sait se taire et prendre un air mystérieux, pour attirer le chaland ; la moule, elle, ne voit pas ce fameux chaland et s'ouvre bêtement. L'huître sait faire retentir un petit hihi cristalin, si charmant ; la moule, elle, éclate bruyamment de rire, sans penser à la désastreuse image qu'elle donne d'elle à cet instant. L'huître est associée aux fêtes, aux repas extraordinaires. Les moules, c'est chiant à préparer : il faut les racler, ça met du temps à cuire et il y en a toujours un, à un moment ou à un autre, qui se rappelle qu'il n'aime pas ça ou qu'il y est allergique. Alors que les huîtres, c'est l'extase, la bouche toute ronde d'aise et, quand on ne les mange pas, c'est parce qu'on a pitié d'elles : les pauvres, elles sont avalées vivantes...

Personne ne s'apitoie sur les moules qui, elles aussi, sont en train de bouillir vivantes dans la cocotte.

Je suis allergique aux huîtres.

Or donc, voilà que je vis ma vie de moule. J'ouvre la bouche, je la referme, je laisse mes branchies filtrer tout ça. Je regarde au loin en soupirant, j'ouvre la bouche, je la referme, je pense... On dit que les moules ne pensent pas, qu'elles ont "une cérébralité réduite". La présente prouve que ce n'est pas vrai. Je pense. Je pense même beaucoup. Trop, parfois, selon certains de mes congénères. Trop, je ne sais pas, mais, différemment, c'est certain. Je ne pense pas comme eux. Je ne ressens pas le monde comme eux. Alors, forcément, pour eux, je suis comme en dehors, plus ou moins détachée de ce qui fait leur monde et leurs repères habituels. Au mieux, ils me regardent avec amusement et peut-être même avec un peu d'envie et d'admiration ; au pire, ils m'expulsent. Le résultat est le même : je reste seule sur mon rocher. Et j'en ai assez, de ce rocher, de cette vie. Il y a des jours où je voudrais être une étoile de mer et draguer les merlans ; être une huître et que tout le monde s'extasie sur moi ; voire même, les jours de grande déprime, être une larve, pour Rentrer dans le Lot. Mais bon, bof. De toutes façons, la seule chose que je sais faire, c'est ouvrir et fermer la bouche, en espérant que la marée m'apporte du Nouveau, elle qui ne fait jamais descendre suffisamment l'eau pour que je puisse enfin voir ce qu'il y a au grand jour, de l'autre côté du plafond aquatique. En attendant, je pense, je râle, je ronchonne et j'essaie de me détacher de mon rocher. Mais voilà, il me colle à la peau, mon rocher, c'est à ne pas y croire. Il est lourd, en plus, il m'entrave. Nimporte : j'y arriverai. Et puis, dans cette affaire, j'ai des alliés de poids : les Humains. Bah oui, à force de se moquer du monde, ils finiront bien par provoquer une catastrophe qui fera baisser le niveau des océans ! D'après ce que j'ai pu comprendre en discutant avec une vive, ce n'est pas gagné. Mais on ne sait jamais. Allez-y, les gars, polluez ! Et, surtout, débrouillez-vous pour que je puisse prendre l'air !

Dans l'intervalle, je pense, je râle, je ronchonne et je vous attends de pied ferme.

dimanche 4 novembre 2007

Fil rouge

Fil rouge



De brusques aspirations et une odeur d’air qui emplit les poumons, les inonde, les noie. L’air qui passe et repasse, qui entre et sort, rien que de l’air, aspiré comme un ultime recours. D’abord longuement, lentement, puis de plus en plus vite. Il entre et sort. Entre et sort. Respiration de la panique qui commence à se répandre. Très légère senteur saisie au passage. Quelque chose de froid, d’artificiel, de vaguement mentholé. Une odeur synthétique. Après-rasage ou savon. Sueur aussi, montant peu à peu aux narines. Acre, puissante, désagréable. Odeur de bête. Des saucisses grillées qui passent ironiquement par la fenêtre. Chair cuite, barbecue, feu de bois. Elles s’insinuent, se mêlent aux autres, innocentes et pourtant presque coupables. L’air qui entre sort, entre et sort, de plus en plus rapidement, par secousses, et qui finit par noyer tout le reste.

Bruit de deux respirations, l’une très calme, l’autre qui s’affole de plus en plus, devient sifflante et paraît résonner dans ce cruel silence. Le coeur qui bat si fort que ses battements parviennent jusqu’aux oreilles. Basse obstinée au rythme régulier, tempo rapide fragmentant une durée qui, elle, semble s’allonger dans un ralenti indéfini qui se délite petit à petit, horriblement. Puis des bruits sourds, étouffés par le froissement des vêtements ; des bruits mats, pleins, sourds parce qu’ils sont pleins. Craquements presque imperceptibles, aussi affreux que le reste, mais qui n’en sont que la conséquence. Plaintes, gémissements qui n’osent ni s’affirmer et ni s’aventurer loin de ce qui les a émis, par crainte. Et l’absence de paroles qui surplombe le tout, vide immense qui aspire ce qui aurait pu être dit, comme un gouffre.

Chute sur le carrelage, son froid contrastant avec la chaleur du front qui s’y écrase, surface lisse et dure où s’aplatit une joue et qui n’offre aucun refuge. Mains qui cherchent une prise et qui ne peuvent que glisser dessus. Des mains moites, meurtries, recroquevillées, comme le corps qui vient de tomber, et qui cherchent à se protéger, à échapper, mais qui ne font que renouveler sans cesse le contact avec la froideur et la dureté du sol, tandis qu’au-dessus, la peau douce rougit, bleuit et se fend. Chaleur du sang qui tombe goutte à goutte et forme de petits tas poisseux et glissants qui s’étalent doucement. Douleur qui envahit le corps jusqu’à ne plus faire qu’un avec lui, jusqu’à être lui. Le choc qui s’enfonce toujours plus loin, qui brise les obstacles sur sa route, se retire et revient. Une douleur qui vient s’ajouter alors qu’on pensait ne pas pouvoir souffrir plus. Un instant de répit où elle diminue un peu, puis une autre qui vient s’ajouter. Encore et encore et encore.

La bouche qui devient brusquement sèche, la langue qui passe et repasse, en quête d’humidité, qui a du mal à bouger et semble se coller au palais. La salive a préféré s’enfuir, a tout déserté. Puis des remontées de bile, qui, lentement, se fraient un chemin et accentuent la sensation de sécheresse une fois qu’elles se sont retirées. L’estomac qui s’était un instant douloureusement contracté, recroquevillé sur lui-même, paralysé par la peur, et qui à présent n’en finit pas de se retourner. Goût à la fois âcre et acide en bouche, qui ronge de l’intérieur, paraît de jamais devoir disparaître, mais qu’il faut refouler, avaler. Et puis soudain, celui du sang, épais, écoeurant, omniprésent. Il suinte des dents malmenées, coule des lèvres fendues, fait horriblement disparaître une sécheresse presque regrettée et se mêle ensuite à la poussière, après la chute au sol. Les deux se forcent un passage pour s’insinuer dans la gorge et font remonter la bile, de dégoût cette fois-ci.

Enfin, les formes qui prennent une netteté atroce et deviennent floues la seconde d’après. Le monde habituel, rassurant, s’échappe lui aussi, de plus en plus lointain, laisse la place à un univers de cauchemar beaucoup trop réaliste. Ses couleurs éclatantes, aveuglantes, blessent les yeux, se fondent les unes dans les autres, entament une douloureuse ronde. Elles ne sont plus qu’une immense palette indistincte où rien n’a d’existence propre, puis rapetissent jusqu’à ce que le noir domine. De brefs passages d’obscurité suffisant à désorienter, à détruire le peu de solidité qui restait. Des passages qui deviennent de plus en plus fréquents, mais pas assez pour atténuer le choc d’un monde qui revient à la charge et rappelle la réalité. Les yeux qui errent, qui regardent partout sauf devant eux, un peu comme au début, mais sans aucun espoir. L’espoir est parti avec les rassurantes habitudes. Car quand les pupilles fixent à nouveau le futur immédiat, elles ne voient aucun secours, mais toujours ces coups qui seront niés ou passeront pour de l’ « amour ».

Amor de mis amores

Puisque je m'en "sers", il peut être intéressant d'avoir une idée de ce qu'est cette chanson.






Para un hombre :

No te asombres si te digo lo que fuiste :
Una ingrata con mi pobre corazón,
Porque el fuego de tus lindos ojos negros
Alumbraron el carmino de otro amor...

Y pensar que te adoraba tiernamente,
Que a tu lado como nunca me sentí...
Y por esas cosas raras de la vida,
Sin el beso de tu boca yo me ví.

Amor de mis amores, reina mía, ¿ qué mi hiciste,
Que no puedo conformarme sin poderte contemplar ?
Ya que pagaste mal a mi cariño tan sincero ;
Lo que conseguirás que no te nombré nunca más...

Amor de mis amores, si dejaste de quererme,
No hay cuidado que la gente de eso no se enterará.
¿ Qué gano con decir que una mujer cambió mi suerte ?
Se burlarán de mí : que nadie sepa mi sufrir...!



Para una mujer :

No te asombres si te digo lo que fuiste :
Un ingrato con mi pobre corazón,
Porque el fuego de tus lindos ojos negros
Alumbraron el carmino de otro amor...

Y pensar que te adoraba tiernamente,
Que a tu lado como nunca me sentí...
Y por esas cosas raras de la vida,
Sin el beso de tu boca yo me ví.

Amor de mis amores, sufio mío, ¿ qué mi hiciste,
Que no puedo conformarme sin poderte contemplar ?
Ya que pagaste mal a mi cariño tan sincero ;
Lo que conseguirás que no te nombré nunca más...

Amor de mis amores, si dejaste de quererme,
No hay cuidado que la gente de eso no se enterará.
¿ Qué gano con decir que tu canaste de mi suerte ?
Se burlarán de mí : que nadie sepa mi sufrir...!

jeudi 1 novembre 2007

Whitman, "Song of the Open Road" 13 in "Leaves of grass"

Allons ! to that which is endless as it was beginningless,
To undergo much, tramps of days, rests of nights,
To merge all in the travel they tend to and the days and the nights they tend to,
Again to merge them in the start of superior journeys,
To see nothing anywhere but what you may reach it and pass it,
To conceive no time, however distant, but what you may reach it and pass it,
To look up or down no road but it stretches and waits for you, however long but it stretches and waits for you,
To see no being, not God's or any, but you also go thither,
To see no possession, but you may possess it, enjoying all without labor or purchase, abstracting the feast yet not abstracting one particule of it,
To take the best of the farmer's farm and the rich man's elegant villa and the chaste blessings of the well-maried couple and the fruits of orchards and flowers of gardens,
To take to your use out of the compact cities as you pass through,
To carry buildings and streets with you afterward wherever you go,
To gather the minds of men out of their brains as you encounter them, to gather the love out of their hearts,
To take your lovers on the road with you, fo all that you leave them behind you,
To know the universe itself as a road, as roads for traveling souls.

All parts away for the progress of souls,
All religion, all solid things, arts governments - all that was solid or is apparent upon this globe or any globe falls into niches and corners before the procession of souls along with the grand roads of the universe.

Of the progress of the souls of men and women along the grand roads of the universe, all other process is the needed emblem and sustenance.

Forever alive, forever forward,
Stately, solemn, sad, withdrawn, baffled, mad, turbulent, feeble, dissatisfied,
Desperate, proud, fond, sick, accepted by men, rejected by men,
They go ! they go ! I know that they go, but I know not where they go,
But I know they go toward the best - toward something great.

Whoever you are, come forth ! or man or woman come forth !
You must not stay sleeping and dallying there in the house, though you built it or though it has been built for you.

Out of the dark confinement ! out from behind the screen !
It is useless to protest. I know all and expose it.

Behold through you as bad as the rest,
Through the laughter, dancing, dining, supping, of people,
Inside dresses and ornaments, inside of those wash'd and trimm'd faces,
Behold a secret and silent loathing and dispair.

No husband, no wife, no friend, trusted to hear the confession,
Another self, a duplicate of every one, skulking and hiding it goes,
Formless and wordless through the streets of the cities, polite and bland in the parlors,
In the cars of railroads, in steamboats, in the public assembly,
Home to the house of men and women, at the table, in the bed room, everywhere,
Smartly attired, countenance smiling, form upright, death under the breast bones, hell under the skull bones,
Under the broadclothes and gloves, under the ribbons and artificial flowers,
Keeping fair with customs, speaking not a syllable of itself,
Speaking of any thing but never of itself.

Homère, "Iliade", chant I, vers 1 à 6

Μῆνιν ἄειδε, θεὰ, Πηληιάδεω Ἀχιλῆος
οὐλομένην, ἣ μυρί' Ἀχαιοῖς ἄλγε' ἔθηκε,
πολλὰς δ' ἰφθίμους ψυχὰς Ἄιδι προΐαψεν
ἡρώων, αὐτους δὲ ἑλώρια τεῦχε κύννεσιν
οἰωνοῖσί τε πᾶσι - Διὸς δ ἐτελείετο βουλὴ -
ἐξ οὗ δὴ τὰ πρῷτα διαστήτην ἐρίσαντε
Ἀτρεΐδης τε ἄναξ καί δῖος Ἀχιλλεὺς.

La chanteuse triste

La chanteuse triste



"Stella."

Dans un coin sombre du piano-bar, assise tout contre l'instrument, la jeune femme ne bougea pas. Elle continuait de regarder dans le vide, comme absorbée dans ses pensées. Mais le musicien savait qu'elle l'avait entendu.

"Stella," répéta-t-il.

Toujours pas de réponse. Elle soupira cependant un peu et serra ses bras contre elle, comme si elle avait froid. Son visage était douloureusement fermé, figé ; il essayait visiblement de résister à la pression de quelque chose qui se trouvait à l'intérieur et faisait tout son possible pour briser la muraille et l'édifice avec.

"Stella, j'ai besoin de toi.

- Va te faire foutre, Phil," finit-elle par lâcher.

Le silence s'installa de nouveau. Un peu plus loin, les derniers clients de la soirée finissaient leur verre en devisant joyeusement. On était au moment de la nuit où, petit à petit, les gens s'en vont et où tout s'apaise : il ne reste plus que les habitués, qui savent jusqu'à quand exactement s'attarder pour ne pas rater le dernier métro ; le pianiste est fatigué et discute plus longuement avec eux ; le serveur et le patron lavent les dernières assiettes et commencent à passer un coup de chiffon sur les tables. Dehors, les passants se font de plus en plus rares, leurs rires retentissent plus longtemps dans les rues désertes et tout prend le goût et l'odeur de quelque chose qui se termine.

Phil se tourna à nouveau vers son piano et en regarda mélancoliquement les touches noires et blanches.

"Ecoute, commença-t-il, je ne vais pas te faire un dessin. Tu sais bien que je suis toujours juste au niveau fric et, ce mois-ci, avec la fermeture de ce cabaret où je bossais le week-end, je suis vraiment dans la merde. C'est galère de se faire embaucher, quand on est un pianiste seul ; mais à deux, tout de suite, ça devient plus facile.

- Tu m'emmerdes, Phil ; tu sais bien que je ne suis pas chanteuse. J'ai rien dans la voix.

- Arrête, tu déconnes ; quand tu as chanté tout à l'heure, c'était très bien. C'était même nettement mieux que toutes les autres fois.

- Non, ça ne rendait rien.

- Je ne suis pas d'accord."

Nouveau silence. Le ton avait légèrement monté et le patron leur jetait maintenant, à intervalles réguliers, de rapides petits coups d'oeil. Stella soupira à nouveau, releva la tête et lança à Phil un regard où se lisait une tristesse infinie.

"Je ne chante bien que quand je suis désespérée."

Il ne sut que répondre.

"Tu comprends, ça ?"

L'espace d'un instant, sa voix avait tremblé. Elle paraissait si seule, si fragile, que tout le vide qui l'entourait, tout ce qui n'était pas rempli par des chaises, des tables, des murs, semblait accentuer un peu plus l'impression d'isolement extrême qui émanait d'elle. Tout ce qu'il parvint à dire fut :

"Je suis sûr qu'on peut former un duo du tonnerre."

Elle retomba dans son attitude de prostration.

"Et puis, ça te changera les idées ; tu penseras à autre chose.e

Elle resta silencieuse un temps qui parut interminable à Phil, puis finit par dire, d'un ton las :

"Après tout, pourquoi pas ? De toutes façons, en ce moment, pour moi, plus rien n'a de sens ; alors, ça ou le reste..."


C'est ainsi qu'ils commencèrent à courir les cabarets, piano-bars et cafés-concert. Au début, ce fut un peu difficile : Stella n'avait jamais fait ça et il fallait qu'ils s'habituent l'un à l'autre, qu'ils trouvent des marques communes. Mais, petit à petit, tout se mit en place et il se produisit ce que Phil avait prédit : ils devinrent de plus en plus prisés dans ce petit milieu et décrocher des engagements ne fut bientôt plus un problème. Phil avait toujours été un bon pianiste et Stella chantait de mieux en mieux. Elle excellait même dans les chansons tristes : sa voix prenait des inflexions mélancoliques, semblait vaciller, parfois, mais ne cessait jamais d'être juste ; ses yeux se perdaient alors tant dans le lointain que Phil se demandait parfois si elle voyait vraiment ce qu'elle semblait regarder, si elle avait vraiment conscience de là où elle était, de ce qui se passait autour d'elle. Etait-elle toujours avec eux ?

Elle ne paraissait pleinement présente que lorsqu'elle entonait une vieille chanson argentine, qui parlait d'amour trahi et de fierté à ne pas montrer sa douleur à tous .


No te asombres si te digo lo que fuiste


A ce moment-là, elle s'allumait, se dressait de toute sa taille, donnait même l'impression de grandir et relevait la tête ; tout son corps était alors animé par un feu intérieur et ses yeux lançaient des éclairs en fixant l'assistance.


Un ingrato con mi pobre corazón


Phil accélérait le tempo et les gens se taisaient peu à peu, fascinés par la jeune femme. Quelque chose se produisait qui passait dans l'air et vibrait au-dessus de l'assistance.


Ya que pagaste mal à mi cariño tan sincero ;

Lo que conseguirás que no te nombré nunca más...!


Quand venait la fin de la chanson, c'était des applaudissements à tout rompre.


Mais, aussi, et peut-être surtout, leur duo était connu parce que, plus le temps passait, plus la chanteuse devenait triste. Aucune lueur joyeuse n'illuminait plus ses yeux, qui se perdaient chaque jour davantage dans le vague ; l'impression de fragilité et de solitude qu'elle donnait s'accusait progressivement, au fur et à mesure qu'elle perdait insensiblement du poids ; ses mains elles-mêmes, devenues translucides, paraissaient douloureusement touchées par sa profonde blessure.


Y pensar que te adoraba tiernamente,

Que a tu lado como nunca me sentí


Les gens interrogeaient Phil en douce, pendant les pauses, lorsqu'elle s'éloignait un peu de l'instrument :

"Mais qu'est-ce qui lui arrive ? qu'est-ce qu'elle a ? des problèmes ? une peine de coeur ?"

Il ne savait que répondre : il ignorait ce qui s'était passé exactement. Elle n'en parlait jamais et, par un accord tacite, ils n'abordaient pas le sujet. Il avait vaguement le sentiment que le faire romprait définitivement leur association. Or il n'en avait absolument pas envie : pour une fois que ça marchait pour lui...! Il était donc, lui aussi, réduit à émettre des hypothèses.


Amor de mis amores, si dejaste de quererme,

No hay cuidado que la gente de eso no se enterará.

¿ Qué gano con decir que tu canaste de mi suerte ?

Se burlarán de mí : que nadie sepa mi sufrir...!


"Si c'est pas malheureux, lui répétaient les gens qui venaient l'interroger, lui, sur ce qui la rongeait, elle, comme si elle inspirait un sentiment de peur respectueuse qui empêchait de s'adresser directement à elle ; si c'est pas malheureux : elle est si jolie et elle chante si bien !"


Car Stella chantait effectivement de mieux en mieux. Plus elle devenait triste et plus elle interprêtait ses chansons à la perfection. Sa voix captivait l'auditoire dès la première note, comme Phil n'avait jamais vu personne d'autre le faire, et le maintenait en son pouvoir jusqu'à la dernière. Leurs employeurs étaient ravis ; ils étaient demandés partout, pouvaient se produire où ils le désiraient ; on leur offrait des ponts d'or. Les affaires n'avaient jamais été aussi bonnes et le banquier de Phil lui adressait périodiquement ses plus sincères félicitations pour le redressement spectaculaire du solde de son compte.

Mais le pianiste s'inquiétait pour la chanteuse. Derrière l'image de ce joli succès, il la voyait en effet manger de moins en moins et se servir de minuscules portions, qu'elle picorait avant de repousser son assiette d'un air las. Elle avait totalement perdu l'appétit et pâlissait de jour en jour. Phil savait aussi qu'elle dormait désormais très peu, que certaines pensées la réveillaient au beau milieu de la nuit et l'emprisonnaient, éveillée, jusqu'à l'aube. Malgré tout, elle tenait. Aucune plainte ne s'échappait jamais de ses lèvres. Elle restait debout grâce au suprême effort d'une volonté inflexible, qui la rendait quasiment mutique : elle n'ouvrait la bouche quasiment que pour chanter ; c'était la seule manière qu'elle s'autorisait de laisser sortir ce qui la minait de l'intérieur.

Et le pianiste, peu à peu, à force de s'inquiéter pour elle, devint comme la chanteuse. Il n'avait plus goût aux félicitations, aux messages suppliant qu'ils acceptent de se produire tel soir à tel endroit. Au piano, il passait son temps à la surveiller du coin de l'oeil, sentant son coeur prêt à se briser de tristesse chaque fois qu'il se tournait vers elle. Lui aussi devint triste ; lui aussi commençait à ne plus avoir faim. Ses nuits se faisaient par intemittences, désormais, et un poids énorme pesait en permanence sur sa poitrine. Ils devinrent le plus triste des duos. A présent, plus personne ne venait l'interroger sur ce qui causait la tristesse de sa chanteuse : les gens s'étaient mis à le considérer avec la même crainte respectueuse.


Et puis il y eut ce soir de janvier. Il gelait à pierre fendre, le vent avait soufflé en blizzard toute la journée et le ciel n'avait pas cessé de se couvrir de nuages trop gris pour déposer un manteau de neige sur le froid statique des monuments, mais pas assez pour les noyer sous un déluge glacé. Phil et Stella se trouvaient dans le même piano-bar où il lui avait fait sa proposition, il y avait un an, presque jour pour jour. Lui était devant l'instrument, comme toujours, et elle dans un coin, à côté de lui, enveloppée dans une invraisemblable épaisseur de châles et d'écharpes : elle n'avait pas cessé de grelotter de toute la journée.

La soirée s'était remarquablement bien passée : elle avait été formidable, exceptionnelle même ; Phil ne l'avait jamais entendue chanter ainsi et ils avaient pourtant passé une année à travailler et répéter chaque jour ensemble. Le public retenait son souffle dès qu'elle ouvrait la bouche et le charme se dispersait à peine lorsqu'ils faisaient une pause. Ils avaient décidé de garder la chanson argentine pour la fin et, au fur et à mesure que le temps passait, Phil voyait Stella vaciller de plus en plus. Pourtant, quand il entama les premiers accords d'introduction, elle parut se reprendre un peu et se redressa comme d'habitude : il était à présent à peu près certain que c'était inconsciemment qu'elle se tenait ainsi, depuis le début, chaque fois qu'elle entonnait cet air.


No te asombres si te digo lo que fuiste :

Un ingrato con mi pobre corazón.


Mais, cette fois-ci, il sentit tout de suite qu'il y avait quelque chose d'inhabituel.


Porque el fuego de tus lindos ojos negros

Alumbraron el carmino de otro amor...


Il se rendit soudain compte que, pour la première fois, elle s'était approchée plus près de lui et s'agrippait de la main au piano. Les gens la fixaient d'un air encore plus halluciné que de coutume. Son chant était littéralement envoûtant.


Y pensar que te adoraba tiernamente,

Que a tu lado como nunca me sentí...

Y por esas cosas raras de la vida,

Sin el beso de tu boca yo me ví.


Elle paraissait vivre encore plus intensément ce qu'elle chantait ; elle était la chanson et, pour la première fois, sur celle-ci aussi, son esprit était loin, très loin, comme si elle parlait réellement à quelqu'un, qui était dans cet endroit, hors de leur vue à tous, où elle se trouvait.


Amor de mis amores, sufio mío, ¿ qué mi hiciste,

Que no puedo conformarme sin poderte contemplar ?

Ya que pagaste mal a mi cariño tan sincero ;

Lo que conseguirás que no te nombré nunca más...


Le balancement de son corps était de plus en plus visible. Dans la salle, des clients commençaient à chuchotter discrètement en la désignant à leur voisin. Phil était persuadé qu'elle allait s'effrondrer d'une minute à l'autre, tant la souffrance qu'elle ressentait était visible, mais il était incapable de s'arrêter de jouer pour mettre fin à cette torture : ses mains refusaient d'obéir à sa volonté, comme si l'emprise de la voix de Stella s'exerçait désormais sur elles aussi. La tension était à présent à son comble et tout le monde, dans la pièce, les yeux fixés sur Stella, savait qu'une catastrophe était sur le point de se produire.


Amor de mis amores, si dejaste de quererme,

No hay cuidado que la gente de eso no se enterará.

¿ Qué gano con decir que tu canaste de mi suerte ?

Se burlarán de mí : que nadie sepa mi sufrir...!


Sitôt que sa voix s'éteignit, Stella perdit connaissance et glissa à terre en s'affaissant le long du piano. Elle était si légère que sa chute ne produisit presque aucun son.



A l'hôpital, les médecins expliquèrent beaucoup de choses à Phil, dont il ne comprit pas la moitié. Tout ce qu'il retint et qui résonna longtemps dans sa tête, tout le long des différents entretiens qu'il eut avec eux, fut "ne pourra plus jamais chanter ; plus jamais". Apparemment, il étaient incapables de dire ce qui s'était passé exactement. Phil était persuadé que Stella allait être anéantie : c'était tout ce qu'ils avaient mis un an à construire qui était ainsi brusquement englouti par le néant. Il se demanda comment il allait bien pouvoir lui annoncer ça. Le médecin lui dit qu'elle était déjà au courant et s'éloigna pour aller voir un autre patient. Phil, pour sa part, resta longtemps devant la porte fermée. N'osant entrer, il pressentait et redoutait un espace de désolation derrière la cloison de contre-plaqué. Mais lorsqu'il parvint enfin à rassembler tout son courage pour appuyer sur la poignée, il fut saisi par le spectacle qui s'offrit alors à lui : elle était là, assise dans son lit, et dévorait avec appétit le plateau de son déjeuner. Phil en perdit momentanément l'usage de la parole et ne put que l'interroger du regard. Elle lui répondit par un joyeux sourire et tout son visage s'illumina soudain et se colora d'une douce chaleur, tandis qu'elle fixait un point qui se trouvait derrière son partenaire. Celui-ci se retourna : c'était un jeune interne qui venait d'entrer ; il souriait également d'un air bête. Le pianiste comprit et s'éclipsa discrètement. En sortant de l'hôpital, il inspira l'air à pleins poumons et ne put s'empêcher de sourire à son tour : il venait de perdre son gagne-pain, mais il se sentait lui aussi, pour la première fois depuis bien longtemps, incroyablement léger.

Quoi d'neuf, docteur ?

Quoi d'neuf, docteur ?



Cette nuit, j'ai rêvé que je tuais ma belle-mère.


Peter Panician contempla d'un air quelque peu comateux le café qui emplissait son bol. Les effluves qui montaient du liquide chaud lui donnaient presque envie de vomir. Beuuuurk. Décidément, ce matin, ça avait du mal à passer.


Cette nuit, j'ai rêvé que je tuais ma belle-mère. Je ne sais pas comment, mais je sais que je la tuais.


Il releva la tête et son regard tomba sur la vieille toile cirée d'un jaune... pisseux. Il faut le dire, que c'est un jaune pisseux. J'avais prévenu Wendy que ça virerait à cette "couleur" en vieillissant. N'a pas voulu m'écouter. Maintenant, je pense à mes bocaux d'analyse d'urine à chaque fois que ce truc entre dans mon champ de vision. Bon appétit...

Il lâcha un son qui tenait à la fois du soupir et du grognement. Nom de Dieu, cette nuit, j'ai rêvé que je tuais ma belle-mère... Si je commence comme ça, va vraiment falloir que j'aille chez un psy. J'espère que ça ne veut pas dire que je perds les pédales complet, sans quoi ça va carrément virer à l'aigre. Elle finira par m'avoir, la peau de vache. A l'usure.

Sa femme entra dans la cuisine, vêtue d'une vieille robe de chambre d'un rose fané. Des mèches grasses de ses longs cheveux d'un blond filasse, non encore peignés, lui tombaient dans les yeux. Ouuuuhhh... Ce doit être le jour du shampoing...

"Bonjour.

- Bonjour."

Elle aussi se laissa tomber plus qu'elle ne s'assit sur l'une des chaises de la cuisine, devant son bol.

"Et meeeeerdeeee... lâcha-t-elle. Il est vide."

Elle lui jeta une sorte de regard de reproche. Bah quoi ? Elle aurait voulu qu'il lui beurre ses tartines, aussi ? De toutes façons, il était tout aussi peu opérationnel qu'elle, alors... Il y avait eu un temps où ils se préparaient chacun le petit déjeuner à tour de rôle. Il se poussait même parfois jusqu'à la boulangerie pour acheter des croissants. Mais bon, ils avaient arrêté assez vite ce genre de petites plaisanteries. Ça va bien quand on emménage pendant les vacances, mais ensuite, quand on reprend le boulot et qu'il faut se taper plus d'une heure de transports en commun pour y aller, les levers à six heures du matin vous font l'âme moins romantique.

Il retourna à ce breuvage infâme qu'il ne se décidait toujours pas à avaler. Bordel, si elle se met à me harceler jusque dans mon sommeil, je vais vraiment devenir dingo. Déjà que je ne suis pas tout à fait sûr d'être sain d'esprit, mais là, les pulsions homicides, j'avais encore jamais donné. C'est vrai que c'est tentant, quand même. J'ai des raisons. "J'ai toujouuuurs dit à Wendy d'épouser un homme riche ou au moins un homme intelligent. Mais qu'est-ce que vous voulez ? elle n'a pas cessé d'en faire à sa tête. L'amour, l'amour... On voit où ça l'a menée, l'amour !" " Peter, rendez-vous donc utile à quelque chose, pour une fois : allez chercher Kiki. Ça ne devrait pas être trop difficile pour vous, ça, non ?". Rien que d'y repenser, il avait l'impression de la voir là, devant lui, et se mit presque à minauder comme elle le faisait, au souvenir de toutes ses vacheries. Kiki... quelle espèce de sale petit cabot, aussi hargneux que sa maîtresse. Il y a d'ailleurs une certaine ressemblance physique. Suis sûr que c'est le même toiletteur qui s'occupe de sa mise en plis. Me demande d'ailleurs de qui il s'occupe le plus. Non mais quelle vieille salope. M'humilier comme ça devant tout le monde, dimanche dernier, c'était vraiment dégueulasse. Un truc pareil vaut le pire des châtiments. Rien que pour ça, elle mériterait la peine capitale.

"Y a un truc avec ton café ? lui demanda sa femme, qui venait de finir le sien.

- Non, non, rien, répondit-il.

- Bah pourquoi tu ne le bois pas, alors ?

- Trop froid.

- T'as qu'à le mettre au micro-onde, au lieu de le regarder bêtement comme ça. Si tu avais la vision laser de Superman, je le saurais. Si tu étais Superman aussi, d'ailleurs."


Peter ne releva pas et fit ce qu'elle lui disait. Il resta à côté de la machine pour attendre le "tiiinnng !" libérateur.


Pas étonnant que je fasse des rêves comme ça. Pas nécessaire d'être psy pour comprendre : elle me harcèle, je me retiens, je refoule et après, mon inconscient revient me titiller par derrière, quand je dors. Je serais allé consulter que j'en serais au même point. Non, mais vraiment. De toutes façons, l'inconscient, moi, j'y crois pas. Enfin, si, suffisamment pour comprendre ce que ça veut dire. Le reste, hein, c'est que de l'interprétation. Et comme le seul qui peut le faire, c'est moi, je ne vois pas pourquoi il faudrait que je file du fric à un mec qui resterait derrière moi sans rien dire. Sans blague. De toutes façons, je vais bien.


Tiiiiiiinnng ! Peter reprit son bol, jura parce qu'il était trop chaud et revint à sa place.


Ce qui est con, c'est que je ne me souviens même pas de comment je la tuais. C'est vrai, quoi. Ça aurait pu me faire comme un mode d'emploi, un galop d'essai. Hu, hu... Mettons que je décide de le faire pour de bon : quel moyen j'emploierais ? Pas beaucoup de possibilités. Un couteau, ça tache et puis faut d'abord traverser son épaisse couche de graisse. Tiens, c'est marrant, j'y avais jamais pensé, mais je suis sûr que sa couche de graisse vaut celle d'une baleine. Proportionnellement parlant, bien sûr. Si elle avait le gabarit d'une baleine, le problème ne serait plus énorme, mais gigantesque. Remarquez, elle ne passerait plus les portes non plus, donc elle ne pourrait pas nous rendre visite. Hummm... Avantage non négligeable... Il se mit à sourire sans s'en rendre compte. Surtout à la vision d'une immense baleine affublée de lunettes à monture d'écailles, essayant sans succès de passer par la porte d'entrée... Ça, par contre, c'était réjouissant. Ah, non, je suis con : elle aurait depuis longtemps essayé de m'écraser. Et très certainement réussi. Son sourire disparut. Ce qui revient à dire qu'entre elle et moi, c'est quelque chose comme une lutte à mort. "J'y suis pour rien, monsieur le juge : c'était elle ou moi ; il fallait bien que je me défende !"

Il se rendit compte que sa femme le regardait bizarrement et se força à avaler une gorgée de café en grimaçant. "Trop chaud," souffla-t-il, comme pour s'excuser. Elle poussa un soupir d'agacement et se détourna pour lire le journal du matin, qu'elle venait d'étaler sur un coin de la table.

Voyons, voyons, comment m'y prendrais-je ? Donc, le couteau est à exclure et, vu son poids, je ne me vois pas l'assommer et simuler une pendaison. Dommage, parce que j'aurais pris un pied d'enfer à écrire sa lettre d'adieu... "J'ai enfin pris conscience que j'étais un être infect, indigne de vivre. Je prends par conséquent la seule décision qui soit la bonne. Peter, je t'en prie, pardonne-moi : je me rends compte à présent que c'est parce que tu es un être brillant et exceptionnel que, par jalousie, j'ai fait tout ce que j'ai pu pour te pourrir la vie. Je ne mérite rien de moins que ton mépris et ta haine éternelle." Oui... ce serait un grand moment. Il secoua la tête pour se remettre les idées en place. Mais bon, il ne faut pas y compter, elle est beaucoup, beaucoup trop lourde. Même avec une grue, ce serait coton. C'est alors qu'il eut une idée de génie. Mais oui ! Suis-je bête ?! La mort aux rats ! Wendy m'en a fait acheter une sacrée quantité la semaine dernière, il doit bien y en avoir suffisamment pour exterminer un autre genre de nuisible...! En plus, ce doit être douloureux, comme mort ! Je ne sais pas comment ça se passe, mais ce doit être douloureux. De toutes façons, les empoisonnements, c'est toujours atroce. Il se mit à l'imaginer, les yeux exorbités, bavant et se pliant en deux dans les affres de l'agonie. Un sourire béat et satisfait apparut sur son visage.

"Qu'est-ce qu'il y a ? demanda soudainement sa femme, interrompant le cours de ses pensées. Qu'est-ce qui te fait sourire comme ça ? J'ai un truc dans les dents ou quoi ?"

Le ton était mal aimable, presque accusateur. Peter s'empressa de la rassurer comme il le pouvait, mais elle garda un air soupçonneux et peu convaincu. Il essaya de lui montrer que tout était normal en se forçant à boire à nouveau un peu de café : résultat toujours aussi nul, mais elle finit par retourner à son journal, ce qui lui permit de reprendre là où il s'était arrêté.

Non, non, non. Ôte-toi ça de la tête. De toutes façons, ce n'était qu'un rêve. Il fut soudain frappé par une évidence. Mais bon, d'un autre côté, si j'étais vraiment sincère, je ne devrais pas dire que c'était un cauchemar ? Tous les psys du monde pourront m'expliquer que c'est une manifestation de mon inconscient, que je me défoule comme ça et que ça n'a aucun incidence sur la vie normale, qu'on a tout à fait le droit de tuer sa belle-mère en rêve, que c'est signifiant mais que ça ne veut pas dire que je vais nécessairement passer à l'acte... quand même. C'était un rêve ou un cauchemar ? Poser la question, c'est peut-être déjà donner la réponse : si c'était un cauchemar, je n'y penserai pas autant et, surtout, pas avec tant de délectation. Enfin, bref, ça n'a pas d'importance : je vais bien. Oui, je vais bien. Je-vais-bien.


Sa femme se leva en soupirant pour aller prendre sa douche et sortit en jetant un coup d'oeil méfiant à son bol encore aux trois quarts plein de café. Il la regarda quitter la pièce.

Dieu merci, ce n'est pas sa mère que j'ai épousée. On n'épouse pas la famille de sa conjointe. Voilà une pensée réconfortante. Bon, d'accord, on doit les supporter par amour pour elle, sans doute aussi par masochisme et abnégation, mais, au moins, on n'est pas marié avec eux. En plus, Wendy fait mentir le dicton "telle mère, telle fille". Ses yeux tombèrent sur le journal, le bol vide et les miettes de pain qu'elle avait laissés sur la table. Encore que. Ces dernières années, son caractère ne s'est pas précisément amélioré. Ça fait quoi ? cinq ans ? six ans ? qu'on est mariés ? Et quelques années de plus qu'on se connaît. Or, s'il y a bien une chose que je peux affirmer à son propos, c'est que son caractère ne s'adoucit assurément pas avec l'âge. Bien au contraire. Je me demande bien ce que j'ai pu faire ce matin pour la mettre de mauvaise humeur. C'est quoi ? Mon café ? Mon sourire abruti ? Et alors ? Je n'ai plus le droit de sourire comme un abruti, maintenant ? Il poussa un soupir profond et quelque peu désespéré. Quand je pense à comment je m'imaginais la fille de mes rêves, étant ado. Merde ! rien à voir avec elle. D'abord, j'ai toujours été fasciné par les Espagnoles. Ou les Italiennes. A moins que ce ne soit depuis que je vis avec Wendy, mais en tous cas, les blondes fadasses, j'en ai ma claque. Je veux du feu, moi, de l'énergie. Du piquant. Il se mit à imaginer la fille en question. Grande... très brune... un corps de rêve... un caractère explosif... une bombe au lit. Tout le contraire de Wendy. De toutes façons, tout ça, ce ne sont que des clichés et des fantasmes. Mais les fantasmes, c'est bien aussi, n'est-ce pas messieurs les psys ?

Drrrriiiiiiinnnng !!!!!

Sa femme hurla "téléphone !!!" depuis la salle de bain. Comme s'il ne l'entendait pas, alors qu'il était juste à côté... Il se leva et décrocha. "Monsieur Panician ? Bonjour ! Nous sommes la société de meubles Toupourlamaison ! Nous vous appelons pour vous informer que si vous venez en couple, dans notre magasin, samedi prochain, d'incroyables réductions et crédits vous attendent, sur les canapés, les..." Sans rien dire, il lui coupa le sifflet en reposant le combiné. Non, merci. On s'est déjà endettés sur quinze ans pour acheter ce putain de pavillon de banlieue, pas besoin en plus de se coller un crédit à la consommation sur le dos. Déjà que la voiture va bientôt nous lâcher... Alors là, vraiment, non merci. De toutes façons, je déteste les démarcheurs au téléphone. Ce devrait être interdit. Ces types sont la huitième plaie d'Egypte. Il aperçut sa femme sortir de la salle de bain. Ah non. Rectification : la neuvième. Avant, il y a les femmes en bigoudis. Il eut une vision de sa belle-mère avec ses infâmes rouleaux roses sur la tête et un masque à l'argile qui la faisait proprement ressembler à un Martien. Son visage prit aussitôt une expression ironique, qui devint douloureuse l'instant d'après, lorsque le visage en question se changea en celui de sa femme, avec quelques années de plus.

Pour chasser cette image, il balaya du regard la pièce où il se trouvait. Cuisine immaculée, terne et impersonnelle. Murs nus et sales qui auraient grand besoin d'être repeints. Eclairage au néon. Par la fenêtre, dans l'aube grisâtre du petit matin, il commençait à distinguer le jardin en chantier, avec ses mauvaises herbes et ses arbres squelettiques de janvier. Ô joie. Mais qu'est-ce que je fous ici ? C'est donc ça, ma vie ? Je vais devoir passer toute mon existence ici ? comme ça ? Il n'y aura point de salut hors métro, boulot, dodo, le sexe le samedi et Drucker à la télé, le dimanche ? Si tout va bien, j'ai encore au moins cinquante ans devant moi. Il va falloir que je les passe à faire semblant d'être parfaitement épanoui, entre Wendy, ce jardin, un ou deux niards à venir et une éventuelle voiture neuve ? Ce sera ça, ma vie, pendant cinquante ans ? Mais cinq, c'est déjà un calvaire ! Alors cinquante ans ? cinquante ans ? CINQUANTE ANS ???????!!!!!!!!!!!! Il resta complètement figé au beau milieu de la cuisine. Attendez, là. Hou, hou ! Y a quelqu'un, là haut ? Parce que s'il y a quelqu'un, je vous préviens que ce n'est pas du tout ce que je voulais ! Moi, j'avais l'intention de voyager, parcourir le monde, vivre des aventures exaltantes, me sentir exister à chaque seconde et non mourir à petit feu dans une vie morne et désespérante...! Il eut une vision de lui, se la coulant douce dans un pays chaud, une brune torride à ses côtés ; de lui, journaliste de guerre, risquant courageusement sa vie sous les bombes pour ramener le scoop à son rédacteur en chef ; de lui, artiste reconnu, vivant de son art, adulé par les foules. Il se prenait à rêver tout éveillé...

"Tu ferais mieux de te dépêcher, si tu ne veux pas arriver en retard au boulot, lui dit sa femme en surgissant derrière lui. Un expert-comptable qui n'est pas à l'heure, c'est mauvais pour la crédibilité. Même quand il est payé une misère."

Non, non, NON !!! C'est cette vie-là qui est un cauchemar et pas l'autre qui n'est qu'un rêve ! Bon sang, mais comment j'ai fait pour m'enferrer dans un enfer pareil ! On passe son temps à rêver sa vie, on jure ses grands dieux qu'on ne fera pas comme les autres et puis, finalement, on suit mécaniquement les rails d'une voie toute tracée, parce que c'est plus simple, parce que ça évite d'avoir à se battre ! Sauf qu'un jour, on se réveille et, en ouvrant les yeux, on se rend compte qu'on est en plein cauchemar... Est-ce qu'il est trop tard ? Est-ce qu'il est trop tard, ce jour-là ? Par pitié, quelqu'un, dites-moi qu'il n'est pas trop tard...!!!!

"Ah, au fait, ajouta-t-elle négligeamment. Je ne t'ai pas dit, mais Maman mange avec nous, ce soir."

Le coup de grâce. Peter se sentit un peu plus pris au piège et eut toutes les peines du monde à inspirer une bouffée d'air. Cette vieille peau... Elle devait avoir un sixième sens, ce n'était pas possible autrement. Elle savait quand il fallait venir pour l'achever. La mise à mort était pour ce soir, il n'y avait pas de doute.

Il repensa à la mort aux rats qui était dans le garage. Ce serait facile... Ce serait si facile...

"Ça ne te dérange pas, j'espère ?" continua-t-elle d'un ton indifférent.

Il eut quelques seconde de silence, puis il finit par répondre, faussement détaché :

"Non, pas du tout."


Ce sera si facile...