vendredi 17 décembre 2010

Le cas Houellebecq : "Les Particules élémentaires"

Je viens de finir Les Particules élémentaires de M. Houellebecq. Ça faisait un moment que je me disais qu'il fallait que je le lise, j'ai fini par me décider à le faire avant qu'il ait le Goncourt. Pourquoi ne pas avoir acheté La Carte et le territoire (même s'il ne l'avait pas encore eu, il était déjà donné comme archi favori) ? Parce que ce dernier roman était présenté, précisément, comme "Goncourisable", i.e. comme écrit presque "pour" le Goncourt et donc de manière assez différente de celle des autres romans de Houellebecq. Et, Les Particules élémentaires, c'est quand même le roman qui l'a vraiment fait connaître, donc ça me paraissait une bonne idée de commencer par là.

C'était donc deux ou trois semaines avant le Goncourt. Pourquoi ai-je mis tant de temps à le lire ? Parce que ce livre est terriblement déprimant. Le monde qu'il dépeint est profondément sordide, glauque et dépourvu de sens : des deux personnages, l'un passe sa vie à chercher le plaisir sans ressentir aucune satisfaction les rares fois où il l'atteint ; l'autre est tout à fait incapable de ressentir le moindre sentiment et même ses recherches scientifiques, qui occupent toute son existence, n'ont finalement pas l'air de lui tenir tant que cela à coeur. On sent derrière une immense rancoeur contre la génération 68 et ceux qui ont profité de la libération sexuelle, avec une démonstration magistrale que ce n'est ni cela, ni les histoires de spiritualité new age, qui rend heureux. D'ailleurs le bonheur lui-même semble une faste fumisterie, une arnaque que chacun cherche à atteindre, mais qui n'existe pas. Le style de Houelllebecq est à l'image de cette atmosphère : très sec et dépouillé, d'une précision presque clinique, qu'il pousse d'ailleurs parfois jusqu'à l'ajout de dénominations en latin.

En vérité, ce qui m'a le plus intéressée, c'est sa dernière partie : le style s'y fait plus poétique, sans doute parce qu'on se détache du personnage principal du roman pour l'observer complètement de l'extérieur. La perspective n'est, en effet, plus la même : le narrateur n'est plus tant un simple "biographe" qu'un des êtres "parfaits" que ses travaux ont réussi à produire. Voilà le coup de génie de ce roman : sans cela, il restait l'une de ces éternelles diatribes amères des rejetons de soixante-huitards qu'on a beaucoup publiées et qu'on publie toujours beaucoup ; avec cela, il prend une tout autre dimension, tout le récit qui précède prend une tout autre dimension et ça, franchement, c'est génial, car il ne s'agit pas seulement d'un ultime retournement, à la manière du recul pris par la caméra à la fin de Men in Black (où l'on finit par se rendre compte que notre univers est tout entier contenu dans une bille, avec laquelle jouent de jeunes extraterrestres) ; c'est un ajout existentiel, une apocalypse au sens étymologique, i.e. une révélation coïncidant avec la fin du monde. En ce sens, il y a une dimension biblique dans ce roman : on commence par la genèse des deux héros et on finit par une révélation qui découvre la fin de l'humanité "primitive".

Je ne sais donc pas si Houellebecq mérite ou non son Goncourt (de toute façon, de mon point de vue, il vaut mieux ne pas le mériter), ni si le roman pour lequel il vient de l'avoir est écrit dans le même style que Les Particules élémentaires (ceci dit, étant donné que je suis une grande soeur et/ou une fille indigne, j'ai moyen de racketter mon frère ou mon père de La Carte et le territoire), mais, ce qui ne fait aucun doute, c'est qu'il est un bon écrivain.

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