L'autre jour, je suis tombée par hasard sur Gomorra, de Roberto Saviano. Etant donné que j'ai déjà publié la traduction d'un article de lui, que j'avais trouvé vraiment très bon, je l'ai acheté.
Il y a quelque chose d'addictif, dans ce récit : je ne l'ai pas lâché du week-end. Il faut dire que Saviano a un sens aigu de l'organisation de sa matière : la scène d'ouverture décrit les corps de milliers de travailleurs chinois tombant du container où ils ont été entassés pour être enterrés au pays. Il enchaîne ensuite sur la description du port tentaculaire de Naples et comment, peu à peu, d'observateur extérieur, il a pu être témoin de plus près de la façon dont les choses se passaient.
Saviano montre tout, dit tout. Et en particulier comment les jeunes, dans le sud de l'Italie, n'ont pas d'autre "avenir" possible que celui d'entrer dans le "Système", comment et combien ces organisations ont littéralement gangrené la région, combien les autorités sont impuissantes et ne comprennent pas que cette nouvelle mafia est très différente de celle des années '70/'80 ou même de la mafia sicilienne. C'est à la fois un engrenage et une hydre : à chaque fois qu'un chef tombe, il y a et il y aura toujours quelqu'un pour prendre sa place, le quelqu'un est même de plus en plus jeune.
Il montre aussi comment, lorsqu'on naît et vit dans ces régions, même si on n'entre pas dans le Système, on est "contaminé" par lui : c'est cette jeune institutrice sur le point de se marier qui perd fiancé, famille et amis parce qu'elle a osé témoigner au sujet d'un assassinat ; c'est cette jeune fille de quatorze ans qui se fait tuer, un soir, parce qu'elle s'est trouvée au mauvais endroit au mauvais moment ; c'est le père de Saviano lui-même qui lui apprend à tirer avec un pistolet, alors qu'il est encore un enfant, parce que ses cousins savent déjà le faire et qu'il est hors de question qu'il soit "inférieur" à eux. C'est Saviano lui-même, qui devient totalement obsédé par cela, au point d'avoir par ailleurs accumulé des masses d'information et de se rendre compte que le seul moyen de se "libérer" de tout cela est d'écrire, pour dire.
Le style de Saviano est prenant, donc, d'abord parce qu'il appelle un chat un chat, raconte crûment ce qui se passe et, surtout, a une conception performative de la parole. Ecrire pour dénoncer, pour vivre, pour ne pas s'étouffer avec ces mots que personne ne dit ou si peu et, hélas, si vainement. S'il y a bien un ouvrage où le pouvoir de la parole et de l'écriture est partout sensible, c'est bien celui-là.
Le livre est divisé en deux parties : si on veut les résumer, on peut dire que la première montre plus ou moins comment fonctionne le Système, la seconde comment la vie de tous est affectée par lui. Mais en réalité, ces deux aspects se trouvent dans l'une et l'autre partie. On comprend surtout que Saviano a voulu marquer une articulation après son récit prenant de la guerre fratricide au sein clan de Secondigliano. C'est aussi dans la seconde partie qu'on voit émerger chez le narrateur l'idée d'écrire tout cela.
Saviano montre tout, dit tout. Et en particulier comment les jeunes, dans le sud de l'Italie, n'ont pas d'autre "avenir" possible que celui d'entrer dans le "Système", comment et combien ces organisations ont littéralement gangrené la région, combien les autorités sont impuissantes et ne comprennent pas que cette nouvelle mafia est très différente de celle des années '70/'80 ou même de la mafia sicilienne. C'est à la fois un engrenage et une hydre : à chaque fois qu'un chef tombe, il y a et il y aura toujours quelqu'un pour prendre sa place, le quelqu'un est même de plus en plus jeune.
Il montre aussi comment, lorsqu'on naît et vit dans ces régions, même si on n'entre pas dans le Système, on est "contaminé" par lui : c'est cette jeune institutrice sur le point de se marier qui perd fiancé, famille et amis parce qu'elle a osé témoigner au sujet d'un assassinat ; c'est cette jeune fille de quatorze ans qui se fait tuer, un soir, parce qu'elle s'est trouvée au mauvais endroit au mauvais moment ; c'est le père de Saviano lui-même qui lui apprend à tirer avec un pistolet, alors qu'il est encore un enfant, parce que ses cousins savent déjà le faire et qu'il est hors de question qu'il soit "inférieur" à eux. C'est Saviano lui-même, qui devient totalement obsédé par cela, au point d'avoir par ailleurs accumulé des masses d'information et de se rendre compte que le seul moyen de se "libérer" de tout cela est d'écrire, pour dire.
Le style de Saviano est prenant, donc, d'abord parce qu'il appelle un chat un chat, raconte crûment ce qui se passe et, surtout, a une conception performative de la parole. Ecrire pour dénoncer, pour vivre, pour ne pas s'étouffer avec ces mots que personne ne dit ou si peu et, hélas, si vainement. S'il y a bien un ouvrage où le pouvoir de la parole et de l'écriture est partout sensible, c'est bien celui-là.
Le livre est divisé en deux parties : si on veut les résumer, on peut dire que la première montre plus ou moins comment fonctionne le Système, la seconde comment la vie de tous est affectée par lui. Mais en réalité, ces deux aspects se trouvent dans l'une et l'autre partie. On comprend surtout que Saviano a voulu marquer une articulation après son récit prenant de la guerre fratricide au sein clan de Secondigliano. C'est aussi dans la seconde partie qu'on voit émerger chez le narrateur l'idée d'écrire tout cela.
Car on se pose des questions : si c'est après qu'il a eu l'idée de faire ce livre, pourquoi s'approcher des milieux chinois ? Il raconte que, par hasard, il a demandé au port si on savait où il pourrait trouver un logement et que, une chose en amenant une autre... Mais pour demander un logement au port, il fallait bien qu'il ait une idée derrière la tête...
En fait, la situation est plus ou moins comme pour les historiens antiques : ce qui est important, finalement, ce n'est pas de savoir s'il a été personnellement témoin de ce dont il dit qu'il a été témoin, si les enfants avec lesquels il discute se sont effectivement confiés à lui tout de suite, ont vraiment dit cela, voire existent réellement. Ce qui compte, c'est que ce qui est raconté est vrai : chaque mot, chaque scène décrite, chaque développement historique.
Si vous voulez comprendre, véritablement comprendre, parce que, lorsqu'on est né en France, on croit comprendre, mais, en réalité, on ne comprend rien, ce qu'est la mafia dans le sud de l'Italie et même pas seulement dans le sud de l'Italie, si vous voulez comprendre pourquoi les jeunes Italiens ne croient plus à l'avenir, pourquoi ils sont insupportés par ces passe-droits et autres recommandations qui ont si souvent cours dans leur pays, pourquoi ils sont dégoûtés de la politique et/ou ont une telle soif d'éthique, lisez ce livre.
Roberto Saviano
Extrait :
(Discours d'un prêtre officiant à l'enterrement d'un garçon de quinze ans, qui rançonnait et frappait des couples sur une aire d'autoroute, tué alors que les carabiniers essayaient de l'arrêter avec ses deux complices)
« Oggi non è morto un eroe. »
Non aveva le mani aperte, come i preti quando leggono le parabole alla domenica. Aveva i pugni chiusi. Assente qualsiasi tono d'omelia. Quando iniziò a parlare la sua voce era rovinata da una raucedine strana, come quella che viene quando ti parli dentro per troppo tempo. Parlava con un tono rabbioso, nessuna pena molle per la creatura, non delegava niente.
Sembrava uno di quei preti sudamericani durante i moti di guerriglia nel Salvador, quando non ne potevano più di celebrare funerali di massacri e smettevano di compatire, e iniziavano a urlare. Ma qui Romero nessuno lo conosce. Padre Mauro ha un' energia rara. « Per quante responsabilità possiamo attribuire a Emanuele, restano i suoi quindici anni. I figli delle famiglie che nascono in altri luoghi d'Italia a quell' età vanno in piscina, a fare scuola di ballo. Qui non è così. Il Padreterno terrà conto del fatto che l'errore è stato commesso da un ragazzo di quindici anni. Se quindici anni nel sud Italia sono abbastanza per lavorare, decidere di rapinare, uccidere ed essere uccisi, sono anche abbastanza per prendere responsabilità di tali cose. »
Poi tirò avanti col naso l'aria viziata della chiesa : « Ma quindici anni sono così pochi che ci fanno vedere meglio cosa c'è dietro, e ci obbligano a distribuire la responsabilità. Quindici anni è un' età che bussa alla coscienza di chi ciancia di legalità, lavoro, impegno. Non bussa con le nocche, ma con le unghie. »
"« Aujourd'hui, ce n'est pas un héros qui est mort. »
Il n'avait pas les mains ouvertes, comme quand les prêtres lisent les paraboles le dimanche. Il avait les poings fermés. Tout ton d'homélie était absent. Quand il commença à parler, la voix était abîmée et étrangement rauque, comme celle qui vient lorsqu'on se parle à l'intérieur pendant trop longtemps. Il parlait d'un ton plein de colère, sans faible peine pour la créature, il ne remettait rien.
Il avait l'air d'un de ses prêtres sud-américains durant les mouvements de guérilla au Salvador, quand ils n'en pouvaient plus de célébrer les funérailles des massacrés et cessaient de compatir et commençaient à hurler. Mais ici, Romero, personne ne le connaît. Le Père Mauro a une énergie rare. « Quel que soit le nombre de choses dont nous pouvons attribuer la responsabilité à Emanuele, il reste ses quinze ans. Les fils de familles qui naissent ailleurs en Italie, à cet âge, vont à la piscine, prennent des cours de danse. Ici, ce n'est pas comme ça. Le Père Eternel prendra en compte le fait que l'erreur a été commise par un garçon de quinze ans. Si quinze ans, dans le sud de l'Italie, sont assez pour travailler, décider de voler, tuer et être tués, ils sont aussi suffisants pour porter la responsabilité de telles choses. »
Puis il inspira fortement par le nez l'air vicié de l'église : « Mais quinze ans sont tellement peu qu'ils nous font mieux voir ce qu'il y a derrière et nous obligent à répartir la responsabilité. Quinze ans est un âge qui frappe la conscience de qui discute vainement de légalité, de travail, d'obligation. Il ne frappe pas avec ses poings, mais avec ses ongles. »"
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