Suite de mes achats goncouresques : "Trois femmes puissantes" de Marie Ndiaye.
Je vous avoue que je ne sais pas vraiment quoi en penser, d'où ce post qui se fait attendre et que j'aurais voulu idéalement publier samedi dernier. Les précautions préliminaires sont les mêmes que pour Beigbeder, étant donné que ma lecture de Rosie Carpe est lointaine et ne m'a pas laissé plus qu'un vague souvenir.
Pour commencer à nouveau avec les indications de genre, l'oeuvre est sous-titrée "roman", mais s'en compose de trois en réalité, voire de trois nouvelles, vu la taille de chacune des parties. Etant donné qu'il existe un lien très ténu entre les trois différents personnages, ainsi que plus ou moins une communauté de sujet, il est sans doute possible d'argumenter dans le sens d'une unité de l'oeuvre, j'en laisse le soin à d'autres.
Il s'agit à chaque fois de personnes prises à un moment crucial de leur vie : Norah retrouve son père après de longues années passées sans le voir, dans la rancoeur ; Rudy vit sans le savoir une journée qui sera décisive pour sa famille et lui ; Khady Demba est obligée de suivre la route des immigrés sénégalais vers l'Europe. Le début se fait toujours in medias res, au point que la première partie commence par la conjonction "et" : cela donne l'impression que l'histoire a commencé depuis bien longtemps et que nous la prenons en marche et, de fait, l'histoire entre Norah et son père est déjà très longue, on s'en rend assez vite compte.
Le style est à la hauteur de ce qui raconté et dépasse de loin celui de Beigbeder : là où ce dernier se contente d'aligner les mots, Ndiaye, au contraire, les fait entrer en résonnance et acquiert dès lors une remarquable profondeur. Elle alterne deux types de phrases : relativement courtes durant les passages de récit, avec des retours à la ligne assez nombreux, qui lui permettent à la fois de casser le rythme, accélérant ainsi la narration, et de mettre l'accent sur certaines phrases ; dans les descriptions, au contraire, les phrases s'allongent de plus en plus, deviennent parfois étouffantes à force de longueur, d'autant qu'elles comportent peu de virgules, qui permettraient de reprendre haleine.
Soyons clairs : la première partie, celle qui met en scène Norah, est, à mon avis, franchement excellente. Non seulement les phrases mettent en scène l'étouffement que ressent la jeune femme, mais le déploiement de leurs volutes installe peu à peu des contrastes tout à fait réussis. Pour vous donner un exemple, je vais vous citer le premier paragraphe :
La phrase est longue, très longue, même dans ses propositions prises séparément, et surtout, le père, qui semblait, au début du paragraphe, presque en majesté, avec cette lumière si aveuglante qui émane de lui, se révèle, à la fin, sous le signe d'une surprenante déchéance.
Cette première histoire est d'une profondeur parfois vertigineuse et nous plonge dans les racines de cette famille qui a explosé bien des années avant que Norah ne retourne chez son père. On regrette même qu'elle s'arrête comme ça, en pleine action, et on aurait bien envie de connaître la suite.
La troisième n'est pas mal non plus, avec ce personnage de jeune femme qui peine à penser et à prendre le contrôle de sa vie et qui se retrouve sur le chemin de l'immigration vers l'Europe un peu malgré elle.
La deuxième, par contre, est un peu bateau, en ce sens qu'on retrouve l'habituelle focalisation interne accompagnant un personnage en errance psychologique, avec des phrases qui ne s'allongent plus par profondeur, mais par multiplication d'annotations rappelant qu'il s'agit là des pensées du personnage principal. C'est, hélas, la plus longue et, je dois l'avouer, je me suis franchement ennuyée. La troisième souffre de cela aussi mais sensiblement moins.
Ce qui est par contre génial, et sauve même la deuxième partie de l'oeuvre, c'est que, à la fin de chacune d'elles, Ndiaye a ajouté un court paragraphe qu'elle a intitulé "contrepoint" : après des pages et des pages centrées sur un seul personnage, la focalisation change brutalement de point central ; pour reprendre l'exemple de la première partie, on se retrouve tout d'un coup dans la tête de ce père qui, quelques lignes auparavant, se dessinait comme la figure du Mal suprême. Ce sont des moments de concentration qui surprennent même lorsqu'on arrive au troisième d'entre eux et qui remettent en perspective toute l'histoire qui vient d'être racontée.
Je me suis donc peut-être ennuyée en lisant la deuxième partie, mais la première est vraiment excellente, tout comme le sont ces contrepoints, et, en ce qui me concerne, cela m'a donné envie de me remettre à ma propre prose.
Je vous avoue que je ne sais pas vraiment quoi en penser, d'où ce post qui se fait attendre et que j'aurais voulu idéalement publier samedi dernier. Les précautions préliminaires sont les mêmes que pour Beigbeder, étant donné que ma lecture de Rosie Carpe est lointaine et ne m'a pas laissé plus qu'un vague souvenir.
Pour commencer à nouveau avec les indications de genre, l'oeuvre est sous-titrée "roman", mais s'en compose de trois en réalité, voire de trois nouvelles, vu la taille de chacune des parties. Etant donné qu'il existe un lien très ténu entre les trois différents personnages, ainsi que plus ou moins une communauté de sujet, il est sans doute possible d'argumenter dans le sens d'une unité de l'oeuvre, j'en laisse le soin à d'autres.
Il s'agit à chaque fois de personnes prises à un moment crucial de leur vie : Norah retrouve son père après de longues années passées sans le voir, dans la rancoeur ; Rudy vit sans le savoir une journée qui sera décisive pour sa famille et lui ; Khady Demba est obligée de suivre la route des immigrés sénégalais vers l'Europe. Le début se fait toujours in medias res, au point que la première partie commence par la conjonction "et" : cela donne l'impression que l'histoire a commencé depuis bien longtemps et que nous la prenons en marche et, de fait, l'histoire entre Norah et son père est déjà très longue, on s'en rend assez vite compte.
Le style est à la hauteur de ce qui raconté et dépasse de loin celui de Beigbeder : là où ce dernier se contente d'aligner les mots, Ndiaye, au contraire, les fait entrer en résonnance et acquiert dès lors une remarquable profondeur. Elle alterne deux types de phrases : relativement courtes durant les passages de récit, avec des retours à la ligne assez nombreux, qui lui permettent à la fois de casser le rythme, accélérant ainsi la narration, et de mettre l'accent sur certaines phrases ; dans les descriptions, au contraire, les phrases s'allongent de plus en plus, deviennent parfois étouffantes à force de longueur, d'autant qu'elles comportent peu de virgules, qui permettraient de reprendre haleine.
Soyons clairs : la première partie, celle qui met en scène Norah, est, à mon avis, franchement excellente. Non seulement les phrases mettent en scène l'étouffement que ressent la jeune femme, mais le déploiement de leurs volutes installe peu à peu des contrastes tout à fait réussis. Pour vous donner un exemple, je vais vous citer le premier paragraphe :
"Et celui qui l'accueillit ou qui parut comme fortuitement sur le seuil de sa grande maison de béton, dans une intensité de lumière soudain si forte que son corps vêtu de clair paraissait la produire et la répandre lui-même, cet homme qui se tenait là, petit, alourdi, diffusant un éclat blanc comme une ampoule au néon, cet homme surgit au seuil de sa maison démesurée n'avait plus rien, se dit aussitôt Norah, de sa superbe, de sa stature, de sa jeunesse auparavant si mystérieusement constante qu'elle semblait impérissable."
La phrase est longue, très longue, même dans ses propositions prises séparément, et surtout, le père, qui semblait, au début du paragraphe, presque en majesté, avec cette lumière si aveuglante qui émane de lui, se révèle, à la fin, sous le signe d'une surprenante déchéance.
Cette première histoire est d'une profondeur parfois vertigineuse et nous plonge dans les racines de cette famille qui a explosé bien des années avant que Norah ne retourne chez son père. On regrette même qu'elle s'arrête comme ça, en pleine action, et on aurait bien envie de connaître la suite.
La troisième n'est pas mal non plus, avec ce personnage de jeune femme qui peine à penser et à prendre le contrôle de sa vie et qui se retrouve sur le chemin de l'immigration vers l'Europe un peu malgré elle.
La deuxième, par contre, est un peu bateau, en ce sens qu'on retrouve l'habituelle focalisation interne accompagnant un personnage en errance psychologique, avec des phrases qui ne s'allongent plus par profondeur, mais par multiplication d'annotations rappelant qu'il s'agit là des pensées du personnage principal. C'est, hélas, la plus longue et, je dois l'avouer, je me suis franchement ennuyée. La troisième souffre de cela aussi mais sensiblement moins.
Ce qui est par contre génial, et sauve même la deuxième partie de l'oeuvre, c'est que, à la fin de chacune d'elles, Ndiaye a ajouté un court paragraphe qu'elle a intitulé "contrepoint" : après des pages et des pages centrées sur un seul personnage, la focalisation change brutalement de point central ; pour reprendre l'exemple de la première partie, on se retrouve tout d'un coup dans la tête de ce père qui, quelques lignes auparavant, se dessinait comme la figure du Mal suprême. Ce sont des moments de concentration qui surprennent même lorsqu'on arrive au troisième d'entre eux et qui remettent en perspective toute l'histoire qui vient d'être racontée.
Je me suis donc peut-être ennuyée en lisant la deuxième partie, mais la première est vraiment excellente, tout comme le sont ces contrepoints, et, en ce qui me concerne, cela m'a donné envie de me remettre à ma propre prose.