lundi 13 juillet 2009

Bonaventure des Périers, "Nouvelles récréations et joyeux devis"

C'était la bonne surprise du programme français d'agrèg' : Bonaventure des Périers, auteur du XVIème siècle qui, entre autres choses, a publié un recueil de nouvelles, genre très à la mode à l'époque ( pensez à l'Heptaméron de Marguerite de Navarre ). J'ai une dent contre la médiévale, mais pas contre le XVIème et je dois dire que je me suis beaucoup amusée à lire cette oeuvre. Voici ma préférée toutes catégories ( j'ai explosé de rire dans le train en la lisant ! ) et je ne suis pas la seule à lui décerner la palme...! Voici donc, avec l'orthographe d'époque, la nouvelle 62 :

Du jeune garson qui se nomma Thoinette, pour estre receu à une religion de nonnains et comment elle fit saulter les lunettes de l'abbesse qui la visitoit toute nue.


Il y avoit un jeune garson de l'age de dixsept à dixhuit ans, lequel estant à un jour de feste entré en un couvent de Religieuses en veid quatre ou cinq qui luy semblerent fort belles : et dont n'y avoit celle pour laquelle il n'eust trop volentiers rompu le jeusne : et les mit si bien en sa fantaisie qu'il y pensoit à toutes heures. Un jour comme il en parloit à quelque bon compaignon de sa cognoissance, ce compaignon luy dit : « Sçais tu que tu feras ? Tu es beau garson, habille toy en fille et te va rendre à l'abbesse : elle te recepvra aisément, tu n'es point congneu en ce pays d'icy. »

Car il estoit garson de mestier et alloit et venoit par pays. Il creut assez facilement ce conseil : se pensant qu'en cela n'avoit aucun danger qu'il n'esvitast bien quand il voudroit. Il s'habille en fille assez povrement et s'advisa de se nommer Thoinette. Dont de par Dieu s'en va au couvent de ces Religieuses, ou elle trouva façon de se faire veoir à l'abbesse qui estoit fort vieille. Et de bonne adventure n'avoit point de chambriere. Thoinette parle à l'abbesse et lui compta assez bien son cas : disant qu'elle estoit une povre orfeline d'un village de là aupres, qu'elle luy nomma. Et en effect parla si humblement que l'abbesse la trouva à son gré : et par manière d'aumosne la voulut retirer, luy disant que pour quelques jours elle estoit contente de la prendre : et que s'elle vouloit estre bonne fille, qu'elle demeuroit là dedans. Thoinette fit bien la sage, et suyvit la bonne femme d'abbesse, à laquelle elle sceut fort bien complaire : et quant et quant se faire aymer à toutes les Religieuses : Et mesme en moins de rien elle apprint à ouvrer de l'aiguille : Car peult estre qu'elle en sçavoit desja quelque chose, dont l'abbesse en fut si contente qu'elle la voulut incontinent faire nonne là dedans. Quant elle eut l'habit ce fut bien ce qu'elle demandoit et commença à s'approcher fort pres de celles qu'elle voyoit les plus belles, et de privauté en privauté, elle fut mise à coucher avec l'une. Elle n'attendit pas la deuxiesme nuict que par honnestes et aymables jeux elle fit congnoistre à sa compagne qu'elle avoit le ventre cornu, luy faisant entendre que c'estoit par miracle : et vouloir de Dieu. Pour abbreger elle mit sa cheville au pertuys de sa compagne et s'en trouverent bien, et l'une et l'autre : laquelle chose en la bonne heure. Il, dy je, Elle, continua assez longuement, et non seulement avec celle la : mais encore avec trois ou quatre des aultres, desquelles elles s'accointa. Et quand une chose est venue à la cognoissance de troys, ou de quatre personnes, il est aisé que la cinquiesme le sache, et puis la sixiesme : de mode qu'entre les nonnes y en ayant quelques unes de belles et les aultres laydes, ausquelles Thoinette ne faisoit pas si grande familiarité qu'aux aultres : avec maintes aultres conjectures, il leur fut facile de penser que je sçay pas quoy. Et y firent tel guet qu'elles le connurent assez certainement : et commencerent à en murmurer si avant, que l'abbesse en fut advertie, non qu'on luy dist que nomément ce fust seur Thoinette. Car elle l'avoit mise là dedans et puis elle l'aymoit fort. Et ne l'eust pas bonnement creu. Mais on luy disoit par parolles couvertes qu'elle ne se fiast pas en l'habit et que toutes celles de leans n'estoyent pas si bonnes qu'elle pensoit bien : et qu'il y en avoit quelqu'une d'entre elles qui faisoit deshonneur à la Religion : et qui gastoit les Religieuses. Mais quand elle demandoit qui c'estoit et que c'estoit, elles respondoyent que s'elle les vouloit faire despouiller , elle le congnoistroit. L'abbesse esbahie de ceste nouvelles, en voulut sçavoir la verité au premier jour, et pour ce faire, fit venir toutes les Religieuses en chapitre. Seur Thoinette estant advertie par ses mieulx aymées de l'intention de l'abbesse, qui estoit de les visiter toutes nues : attache par derrière sa cheville par le bout avec un filet qu'elle tira par derriere : et accoustre si bien son petit cas qu'elle sembloit avoir le ventre fendu comme les aultres, à qui n'y eust regardé de bien pres : Se pensant que l'abbesse, qui ne voyoit pas la longueur de son nez ne le sçauroit jamais congnoistre. Les nonnes comparurent toutes. L'abbesse leur fit sa remonstrance, et dit pourquoy elle les avoit assemblées : et leur commanda qu'elles eussent à se despouiller toutes nues. Elle prend ses lunettes pour faire sa revue, et en les visitant les unes apres les autres, il vint au reng de seur Thoinette, laquelle voyant ces nonnes toutes nues, fraisches, blanches, refaictes, rebondies, elle ne peut estre maistresse de ceste cheville qu'il ne se fist mauvais jeu. Car sus le poinct que l'abbesse avoit les yeux le plus pres, la corde vint rompre : et en desbandant tout à coup la cheville vint repousser contre les lunettes de l'abbesse, et les fit saulter à deux grandz pas loing. Dont la povre abbesse fut si surprise qu'elle s'ecria, «Jesu Maria : ah Sans faulte dit elle, et est ce vous ? Mais qui l'eust jamais cuidé estre ainsi, que vous m'avez abusée ? »

Toutesfois, qui eust elle faict ? sinon qu'il fallut y remedier par patience, car elle n'eust pas voulu scandalizer la religion. Seur Thoinette eut congé de s'en aller, avec la promesse de sauver l'honneur des filles Religieuses.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Effectivement, je ne suis pas sûr que Ronsard fasse le même effet :-)

Lina a dit…

Oui, c'est aussi pour cela que je n'avais vraiment, vraiment pas envie de repiquer... :S

Anonyme a dit…

Et finalement tu y retournes ?
Ça va être bien, Marivaux, Rimbaud, Chrétien de Troyes !

Lina a dit…

Non, j'ai eu de la chance, je l'ai eue cette année. :)

Le programme de littérature antique est bien, mais en français, je dois avouer que Chrétien de Troyes, Ronsard, Fénelon et Marivaux, ça commence à faire beaucoup d'auteurs qui ne sont pas vraiment ma tasse de thé... :S

Ceci dit, cette année, je n'étais pas une grande fan du théâtre arrageois ( mon semestre d'ancien français à la fac m'a traumatisée à vie ) et j'ai fini par m'y habituer, alors...

Anonyme a dit…

Ah, je n'avais pas compris :-), toutes mes félicitations alors !

Lina a dit…

Merci ! :)