Chose promise, chose due, voici un portrait de barbares chez Sidoine Apollinaire et même de ceux qui sont barbares pour les barbares, j'ai nommé les Huns.
Sidoine Apollinaire est un poète gaulois du Vème siècle après, qui a notamment écrit des panégyriques ( i.e. des discours d'éloge ; mais, rassurez-vous, à côté de celui de Pline le Jeune adressé à Trajan, la brosse à reluire de Sidoine, c'est de la roupie de sansonnet ) pour trois empereurs du milieu de ce siècle, Avitus, Majorien et Anthémius.
Le genre du panégyrique est très codifié : on célèbre la naissance du Grand Homme, sa famille, son éducation, etc. et, bien sûr, ses exploits militaires. Pour ce faire, il faut évidemment présenter l'Ennemi comme absolument terrible, d'où de nombreux portraits de barbares chez Sidoine ( il faut penser qu'on est alors au début des Grandes invasions et que la question des barbares est donc très importante ). Ici, les Huns sont présentés comme la Barbarie à l'Etat Pur.
Le style de Sidoine est placé sous le signe du "pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?" Pour le traducteur, il y a parfois vraiment de quoi devenir chèvre. Imaginez un texte précieux ( i.e. en lien avec ce qu'on appellera plus tard la Préciosité littéraire ), mais en latin ! Ceci dit, une fois qu'on l'a étudié, on se rend compte que cet auteur est intéressant, à mon avis moins pour son style que pour sa manière de reprendre les lieux communs et de les adapter à ses besoins. Là, c'est le portrait de barbares, topique en histoire depuis César.
... Sed omittimus istos
ut populatores : belli magis acta reuoluo.
Quod bellum non parua manus nec carcere fracto
ad gladiaturam tu, Spartace vincte, parasti,
sed Scythicae uaga turba plagae, feritatis abundans,
dira, rapax, uehemens, ipsis quoque gentibus illic
barbara barbaricis, cuius dux Hormidac atque
ciuis erat. Quis tale solum est moresque genusque.
Albus Hyperboreis Tanais qua uallibus actus
Riphaea de caute cadit, iacet axe sub ursae
gens animis membrisque minax : ita sub fronte cauernis
uisus adest oculis absentibus ; acta cerebri
in cameram uix ad refugos lux peruenit orbes,
non tamen et clausos ; nam fornice non spatioso
magna uident spatia, et maioris luminis usum
perspicua in puteis compensant puncta profundis.
Tum, ne per malas excrescat fistula duplex,
obtundit teneras circumdata fascia nares,
ut galeis cedant : sic propter proelia natos
maternus deformat amor, quia tensa genarum
non interiecto fit latio area naso.
Cetera pars est pulchra uiris : stant pectora uasta,
insignes umeri, succinta sub ilibus aluus.
Forma quidem pediti media est, procera sed exstat
si cernas equites ; sic longi saepe putantur
si sedeant. Vix matre carens ut constitit infans,
mox praebet dorsum sonipes ; cognata reare
membra uiris : ita semper equo ceu fixus adhaeret
rector ; cornipedum tergo gens altera fertur,
haec habitat. Teretes arcus et spicula cordi,
terribiles certaeque manus iaculisque ferendae
mortis fixa fides et non peccante sub ictu
edoctus peccare furor.
Mais laissons de côté ces autres barbares en tant qu'ils sont des pillards : j'en reviens plutôt aux hauts faits de la guerre. Cette guerre, ce n'est pas une petite troupe qui l'a préparée, ni toi, Spartacus, qui as été chargé de liens et as brisé ta prison pour prendre la tête de gladiateurs, mais la foule errante de la terre scythe, qui regorge de férocité, cruelle, avide, violente, barbare aussi pour les peuples barbares eux-mêmes qui sont là-bas. Son chef et concitoyen était Hormidac. Voici quels sont son sol, ses moeurs et son peuple.
Là où le blanc Tanaïs est conduit à travers les vallées hyperboréennes et tombe des monts Riphées se trouve, sous le char de l'Ourse, un peuple terrible psychiquement et physiquement : les visages même de leurs enfants ont à ce point une horreur qui leur est propre. Une masse ronde s'élève au sommet de leur tête ; sous leur front, leur regard est présent dans deux cavités, car leurs yeux sont absents ; la lumière, conduite dans la voûte cérébrale, parvient à peine aux globes qui la fuient, mais ne sont cependant pas fermés ; car malgré une étroite ouverture, ils voient de grands espaces et les points visibles dans leurs puits profonds compensent l'usage qu'ils feraient d'un oeil plus grand. Puis, pour que les deux narines ne croissent pas trop sur les joues, un lacet attaché autour de la tête les écrase quand elles sont tendres, pour qu'elles cèdent devant les casques : ainsi, à cause des combats, l'amour de leurs mères déforme les enfants, car la surface plate des joues devient plus large lorsque le nez n'est plus en son milieu. Le reste du corps est beau chez les hommes : ils ont une large poitrine, les membres remarquables, le ventre effacé sous leurs flancs. Ils sont certes de taille moyenne lorsqu'ils sont à pied, mais elle paraît haute si on les voit à cheval : ainsi on les croit souvent grands s'ils sont assis. Quand l'enfant, privé de sa mère, se tient debout, un cheval lui présente son dos ; on croirait que ses membres sont les mêmes que ceux de l'homme : tant le cavalier adhère au cheval, comme s'il y était fixé ; un autre peuple est porté par le dos des chevaux, celui-ci y habite. Les arcs arrondis et les flèches leur sont chers, leurs mains sont terribles et sûres ; ils sont toujours certains de donner la mort avec leurs javelots et leur fureur est instruite à faire le mal d'un coup qui n'est pas mal porté.
( Sidoine Apollinaire, Carmen II dédié à Anthémius, vers 235 à 270 )
Bonus gagnant pour les latinistes : je l'ai dit ailleurs, je le redis ici, je paie un pot de beurre de cacahouètes à celui qui sera capable de me représenter précisément la sandale de Roma Bellatrix qui est décrite un peu plus loin dans le même panégyrique. Voici le texte ; bon courage, mes camarades et moi avons été perplexes toute l'année, ce qui pose problème lorsqu'il faut traduire... :p
Perpetuo stat planta solo, sed fascia primos
sistitur ad digitos, retinacula bina cothurnis
mittit in aduersum uincto de fomite pollex,
quae stringant crepidas et concurrentibus ansis
uinculorum pandas texant per crura catenas.
Ce sont les vers 400 à 404.
Sidoine Apollinaire est un poète gaulois du Vème siècle après, qui a notamment écrit des panégyriques ( i.e. des discours d'éloge ; mais, rassurez-vous, à côté de celui de Pline le Jeune adressé à Trajan, la brosse à reluire de Sidoine, c'est de la roupie de sansonnet ) pour trois empereurs du milieu de ce siècle, Avitus, Majorien et Anthémius.
Le genre du panégyrique est très codifié : on célèbre la naissance du Grand Homme, sa famille, son éducation, etc. et, bien sûr, ses exploits militaires. Pour ce faire, il faut évidemment présenter l'Ennemi comme absolument terrible, d'où de nombreux portraits de barbares chez Sidoine ( il faut penser qu'on est alors au début des Grandes invasions et que la question des barbares est donc très importante ). Ici, les Huns sont présentés comme la Barbarie à l'Etat Pur.
Le style de Sidoine est placé sous le signe du "pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?" Pour le traducteur, il y a parfois vraiment de quoi devenir chèvre. Imaginez un texte précieux ( i.e. en lien avec ce qu'on appellera plus tard la Préciosité littéraire ), mais en latin ! Ceci dit, une fois qu'on l'a étudié, on se rend compte que cet auteur est intéressant, à mon avis moins pour son style que pour sa manière de reprendre les lieux communs et de les adapter à ses besoins. Là, c'est le portrait de barbares, topique en histoire depuis César.
... Sed omittimus istos
ut populatores : belli magis acta reuoluo.
Quod bellum non parua manus nec carcere fracto
ad gladiaturam tu, Spartace vincte, parasti,
sed Scythicae uaga turba plagae, feritatis abundans,
dira, rapax, uehemens, ipsis quoque gentibus illic
barbara barbaricis, cuius dux Hormidac atque
ciuis erat. Quis tale solum est moresque genusque.
Albus Hyperboreis Tanais qua uallibus actus
Riphaea de caute cadit, iacet axe sub ursae
gens animis membrisque minax : ita sub fronte cauernis
uisus adest oculis absentibus ; acta cerebri
in cameram uix ad refugos lux peruenit orbes,
non tamen et clausos ; nam fornice non spatioso
magna uident spatia, et maioris luminis usum
perspicua in puteis compensant puncta profundis.
Tum, ne per malas excrescat fistula duplex,
obtundit teneras circumdata fascia nares,
ut galeis cedant : sic propter proelia natos
maternus deformat amor, quia tensa genarum
non interiecto fit latio area naso.
Cetera pars est pulchra uiris : stant pectora uasta,
insignes umeri, succinta sub ilibus aluus.
Forma quidem pediti media est, procera sed exstat
si cernas equites ; sic longi saepe putantur
si sedeant. Vix matre carens ut constitit infans,
mox praebet dorsum sonipes ; cognata reare
membra uiris : ita semper equo ceu fixus adhaeret
rector ; cornipedum tergo gens altera fertur,
haec habitat. Teretes arcus et spicula cordi,
terribiles certaeque manus iaculisque ferendae
mortis fixa fides et non peccante sub ictu
edoctus peccare furor.
Mais laissons de côté ces autres barbares en tant qu'ils sont des pillards : j'en reviens plutôt aux hauts faits de la guerre. Cette guerre, ce n'est pas une petite troupe qui l'a préparée, ni toi, Spartacus, qui as été chargé de liens et as brisé ta prison pour prendre la tête de gladiateurs, mais la foule errante de la terre scythe, qui regorge de férocité, cruelle, avide, violente, barbare aussi pour les peuples barbares eux-mêmes qui sont là-bas. Son chef et concitoyen était Hormidac. Voici quels sont son sol, ses moeurs et son peuple.
Là où le blanc Tanaïs est conduit à travers les vallées hyperboréennes et tombe des monts Riphées se trouve, sous le char de l'Ourse, un peuple terrible psychiquement et physiquement : les visages même de leurs enfants ont à ce point une horreur qui leur est propre. Une masse ronde s'élève au sommet de leur tête ; sous leur front, leur regard est présent dans deux cavités, car leurs yeux sont absents ; la lumière, conduite dans la voûte cérébrale, parvient à peine aux globes qui la fuient, mais ne sont cependant pas fermés ; car malgré une étroite ouverture, ils voient de grands espaces et les points visibles dans leurs puits profonds compensent l'usage qu'ils feraient d'un oeil plus grand. Puis, pour que les deux narines ne croissent pas trop sur les joues, un lacet attaché autour de la tête les écrase quand elles sont tendres, pour qu'elles cèdent devant les casques : ainsi, à cause des combats, l'amour de leurs mères déforme les enfants, car la surface plate des joues devient plus large lorsque le nez n'est plus en son milieu. Le reste du corps est beau chez les hommes : ils ont une large poitrine, les membres remarquables, le ventre effacé sous leurs flancs. Ils sont certes de taille moyenne lorsqu'ils sont à pied, mais elle paraît haute si on les voit à cheval : ainsi on les croit souvent grands s'ils sont assis. Quand l'enfant, privé de sa mère, se tient debout, un cheval lui présente son dos ; on croirait que ses membres sont les mêmes que ceux de l'homme : tant le cavalier adhère au cheval, comme s'il y était fixé ; un autre peuple est porté par le dos des chevaux, celui-ci y habite. Les arcs arrondis et les flèches leur sont chers, leurs mains sont terribles et sûres ; ils sont toujours certains de donner la mort avec leurs javelots et leur fureur est instruite à faire le mal d'un coup qui n'est pas mal porté.
( Sidoine Apollinaire, Carmen II dédié à Anthémius, vers 235 à 270 )
Bonus gagnant pour les latinistes : je l'ai dit ailleurs, je le redis ici, je paie un pot de beurre de cacahouètes à celui qui sera capable de me représenter précisément la sandale de Roma Bellatrix qui est décrite un peu plus loin dans le même panégyrique. Voici le texte ; bon courage, mes camarades et moi avons été perplexes toute l'année, ce qui pose problème lorsqu'il faut traduire... :p
Perpetuo stat planta solo, sed fascia primos
sistitur ad digitos, retinacula bina cothurnis
mittit in aduersum uincto de fomite pollex,
quae stringant crepidas et concurrentibus ansis
uinculorum pandas texant per crura catenas.
Ce sont les vers 400 à 404.