jeudi 21 mai 2009

La "Théogonie" d'Hésiode

Parce que j'ai vraiment l'impression de faire du sur-place en révisant pour des oraux auxquels je ne serai peut-être même pas acceptée ( on saisit l'absurdité de son existence comme on peut... ), je me dis que ça intéresserait peut-être quelqu'un que je fasse partager mes lectures antiques. Après tout, vu que c'est plutôt parti pour être mon métier, autant aussi faire découvrir les oeuvres des autres.

Je suis donc en train de retraduire la Théogonie d'Hésiode. Je vous passe les détails des différentes querelles de chercheurs sur le thème "Hésiode a-t-il existé ? Si oui, quand exactement ? La Théogonie est-elle vraiment de lui ?" etc., etc. Grosso modo, ce qui est plus ou moins communément admis, c'est qu'Hésiode est un poète grec du VIIème siècle avant Jésus-Christ, qui habitait sans doute près de l'île d'Eubée, pas très loin au nord d'Athènes.

La Théogonie, comme son nom l'indique, est un récit de la naissance des dieux grecs en particulier ( d'où le titre "théo-gonie", "naissance des dieux" ) et du monde en général. Pour tous ceux qui aiment la mythologie grecque, c'est le texte à lire, d'autant qu'il n'est pas très long ( une trentaine de pages ). Il commence par la naissance du monde à partir du chaos et finit avec l'avènement de Zeus. Vous y trouverez non seulement le récit de cet avènement, mais aussi toutes les généalogies divines ( et des noms de dieux dont vous n'aviez jamais entendu parler ; je vous rassure, moi non plus ! :p ).

La Théogonie est une oeuvre en vers. Il faut savoir que la poésie antique ne fonctionne pas comme la nôtre : là où nous comptons les syllabes en elles-mêmes, les anciens comptaient les successions de syllabes longues et brèves, qui formaient des ensembles appelés "pieds". Par exemple, le pied qui se compose d'une syllabe longue suivie de deux syllabes brèves est un dactyle ( de "daktulos", "doigt" en grec ; regardez votre index : il est composé d'une phalange longue, suivie de deux brèves. CQFD ! ). On ne sait pas trop comment la poésie antique était déclamée, mais on pense que, en raison de cette technique de composition, elle devait être relativement rythmée.

La Théogonie présente également une autre caractéristique. Comme c'est un des tous premiers textes de la littérature occidentale ( on considère généralement que la littérature occidentale commence au VIIIème siècle avant J.C., avec Homère ), il a très certainement été tout d'abord composé à l'oral et récité par des aèdes, sortes de chanteurs plus ou moins errants, qui l'avaient appris par coeur ( et, à côté de ça, les tables de multiplication, je peux vous le dire, c'est de la gnognotte ! ). Du coup, il y a à l'intérieur un certain nombre de formules figées qui permettaient, en cas de trou de mémoire ou, précisément, pour s'en souvenir plus facilement, de remplir aisément un demi vers, voire un vers entier. C'est ainsi qu'il arrive parfois que le ciel soit étoilé... même en plein jour. :p

C'est d'ailleurs de ces archaïsmes que vient sans doute le principal problème de la Théologie : l'écriture est un peu vieillie ( et je ne vous parle pas de l'original en grec...! Remarquez, c'est logique, pour un texte qui a quelque chose comme 2700 ans ! ) et assez sollennelle. Je dois aussi reconnaître que, bien que postérieur à Homère, ce n'est pas aussi bien ( mais bon, je suis une fan absolue d'Homère, alors... ). Malgré tout, il y a quand même un certain nombre de passages qui sont tout à fait intéressants et divertissants, surtout si on est attiré par la mythologie grecque.

Histoire de vous prouver ce que j'avance, en voici un. Comme je suis une tête de mule ( et qu'un texte ne prend véritablement tout sa valeur que dans sa langue originale, surtout si c'est de la poésie ), je vous le cite d'abord en grec, puis je vous donne la traduction. Nous sommes juste après l'énumération des enfants d'Ouranos ( le Ciel ) et de Gaïa ( la Terre ) ; c'est le récit de la castration de son père par Kronos ( le futur père de Zeus ).

Ὅσσοι γὰρ Γαίης τε καὶ Οὐρανοῦ ἐξεγένοντο,
δεινότατοι παίδων, σφετέρῳ δ' ἤχθοντο τοκῆι
ἐξ ἀρχῆς * καὶ τῶν μὲν ὅπως τις πρῶτα γένοιτο,
πάντας ἀποκρύπτασκε, καὶ ἐς φάος οὐκ ἀνίεσε,
Γαίης ἐν κευθμῶνι * κακῷ δ' ἐπετέρπετο ἔργῳ
Οὐρανός, ἥ δ' ἐντός στεναχίξετο Γαῖα πελώρη
στεινομένη * δολίην δὲ κακὴν τ' ἐφράσσατο τέχνην.
Αἶψα δὲ ποιήσασα γένος πολιοῦ ἀδάμαντος
τεῦξε μέγα δρέπανον καὶ έπέφραδε παισὶ φίλοισιν *
Παῖδες έμοὶ καὶ πατρὸς ἀτασθάλου, αἶ κ' ἐθέλητε
πείσθεσθαι, πατρὸς κε κακὴν τεισαίμεθα λώβην
ὑμετέρου * πρότερος γὰρ ἀεικέα μήσατο ἔργα.

Ὥς φάτο * τοὺς δ' ἄρα πάντας ἕλεν δέος, οὐδέ τις αὐτῶν
φθέγξατο * θαρσήσας δὲ μέγας Κρόνος ἀγκυλομήτης
ἄψ αὖτις μύθοισι προσηύδα μητέρα κεδνὴν *
Μῆτηρ, ἐγὼ κεν τοῦτο γ' ὑποσχόμενος τελέσαιμι
ἔργον, ἐπεὶ πατρός γε δυσωνύμου οὐκ ἀλεγίζω
ἡμετέρου * πρότερος γὰρ ἀεικέα μήσατο ἔργα.

Ὥς φάτο * γήθησεν δὲ μέγα φρεσὶ Γαῖα πελὠρη *
εἶσε δέ μιν κρύψασα λόχῳ * ένέθηκε δὲ χερσὶν
ἅρπην καρχαρόδοντα, δόλον δ' ὑπεθήσατο πάντα.
Ἤλθε δὲ νύκτ' ἐπάγων μέγας Οὐρανὸς, ἀμφὶ δὲ Γαίῃ
ἱμείρων φιλότητος ἐπέσχετο καὶ ῥ' ἐτανύσθη
πάντη * ὅ δ' ἐκ λοχεοῖο πάις ὠρέξατο χειρὶ
σκαιῇ, δεξιτερῇ δὲ πελώριον ἔλλαβεν ἄρπεν
μάκρην καρχαρόδοντα, φίλοθ δ' ἔρριψε φέρεσθαι
ἐξοπίσω *


"Tous ceux, en effet, qui étaient nés de Gaïa et d'Ouranos étaient
des enfants très redoutables et leur père les prit en haine
dès le début. Dès que l'un d'eux venait au monde,
à chaque fois il les cachait tous - et ne les laissait pas venir à la lumière -
dans les profondeurs de Gaïa ; cette mauvaise action plaisait
à Ouranos, mais la vaste Gaïa gémissait, étouffée
à l'intérieur. Aussi imagina-t-elle une ruse perfide et mauvaise.
Créant vite ce qu'est le gris acier,
elle forgea une grande serpe, s'adressa à ses enfants
et leur dit pour leur donner du courage, inquiète en son coeur :
« Enfants qui êtes nés de moi et d'un père en proie à la fureur, si vous voulez
me faire confiance, nous pourrions punir l'outrage criminel
de votre père ; car c'est lui le premier qui a commis des actions infâmes. »

Tels furent ses mots, mais alors la peur s'empara de tous et aucun d'eux
ne parla. Mais, s'étant donné du courage, le grand Kronos aux pensées fourbes
dit aussitôt ces mots à sa noble mère :
« Mère, moi, je te le promets, je pourrais accomplir
cette tâche, puisque, du moins, je ne crains pas le père au nom déplaisant
qui est le nôtre ; car c'est lui le premier qui a commis des actions infâmes.»

Tels furent ses mots et la vaste Gaïa se réjouit grandement en son coeur.
Elle alla le cacher en embuscade, prit dans ses mains
la serpe aux dents aiguës et expliqua toute la ruse.
Puis vint le grand Ouranos, amenant la nuit ; près de Gaïa,
brûlant de désir, il s'approcha et s'étendit
partout. Alors son fils, depuis le lieu de l'embuscade, tendit la main
gauche, de la droite prit l'énorme serpe,
longue et aux dents aiguës, puis, les bourses de son père,
il les coupa avec impétuosité et les arracha en arrière pour les jeter
derrière lui."

vers 154 à 182

J'ai essayé de respecter la disposition en vers, même si ce n'est pas toujours génial.

Avant de retourner à mon Labeur, je voudrais juste faire remarquer une chose : rien que dans cet extrait, on voit la répétition d'une phrase qui permet de "meubler" les deux interventions ( "car c'est lui le premier qui a commis des actions infâmes" ) et d'une autre qui marque leur fin ( "Tels furent ses mots" ) ; cette dernière était particulièrement importante, dans le cadre d'une récitation orale, car elle permettait à l'auditoire de comprendre que le personnage avait fini de parler ( bah oui, à l'oral, on ne voit pas les guillemets ! ). Elle est caractéristique du style épique.

Sur ce, je file : j'en ai encore plus de huit cents de ce genre à revoir.

7 commentaires:

Thierry Sandjivy a dit…

intéressant ! je le relirais plusieurs fois néanmoins...

Lina a dit…

Pourquoi ? Il y a un problème avec ma traduction ?

Thierry Sandjivy a dit…

Je ne me permettrai pas de juger de la qualité de ta traduction du grec qui est une langue inconnue pour moi.
Dieu m'en garde

Lina a dit…

Alors pourquoi un conditionnel et pourquoi "néanmoins" ?

Thierry Sandjivy a dit…

le conditionnel parce que j'ai mis un "s" alors qu'il n'en fallait pas et que je ne me suis pas relu

"néanmoins" parce que je ne mens pas :P

FWASP a dit…

Bonjour,
Pouvez-vous m'aider, j'aimerais savoir quel est le mot qui à donné la traduction de Lucifer dans ce passage:

"Astraios Aurore enfanta les Vents au coeur impétueux: Zéphyre qui éclaircit le ciel, Borée à la marche rapide et Notos; l'amour avait uni le dieu à la déesse. aeo
Après eux, la déesse du matin enfanta Lucifer et les
Astres étincelants, que le ciel prend pour couronne."

Est-ce phosphoros comme dans le NT???

Je vous remercie

Lina a dit…

Non, ce n'est pas du tout "Phosphoros", mais "Héosphoros", i.e. l'Etoile du Matin" (littéralement "celle qui apporte l'aurore"), i.e. Vénus, l'étoile du Berger. Il faut penser que c'est elle que le mot "lucifer" désignait au début.