Autre texte intéressant que j'ai dû retraduire et qui, je dois l'avouer, m'amuse beaucoup plus que la Théogonie : Les Nuées d'Aristophane. Aristophane est un auteur de comédies athénien de la fin du Vème siècle avant Jésus-Christ. Pour le dire en un mot, il est tout simplement éblouissant. Tout d'abord, il est très drôle, avec un humour assez souvent en bas de la ceinture , mais qui marche à tous les coups. Mais surtout, il fait preuve d'une invention verbale absolument géniale ( qui cause d'ailleurs de sacrées migraines à ses traducteurs ). Ses pièces sont également en prise directe avec l'actualité de l'époque, ce qui fait que c'est souvent grâce à lui que nous avons une petite idée d'à quoi ressemblait le quotidien d'un Athénien aux alentours de 420 et quels étaient les débats et les idées en vogue à ce moment-là. Il écrivait en effet en pleine guerre du Péloponnèse ( durant laquelle les Athéniens et les Spartiates se sont affrontés grosso modo de 431 à 404 ) et se trouvait être un fervent partisan de la paix, ce qui fait qu'il n'hésitait pas à vilipender les va-t-en-guerre de toutes sortes, avec une liberté de ton qu'on a du mal à retrouver de nos jours.
Pour une fois, Les Nuées ne se font pas l'apôtre de la paix, comme les deux premières pièces du comique athénien, Les Acharniens et Les Cavaliers, mais traitent des nouvelles idées en vogue à Athènes sur l'éducation, en particulier de l'enseignement des sophistes. Pour résumer assez grossièrement, les sophistes étaient des professeurs itinérants qui, moyennant finances, proposaient d'enseigner aux jeunes gens l'art oratoire. Un de leurs principaux arguments publicitaires étaient : "grâce à nous, vous pourrez soutenir une chose et son contraire... et vaincre dans l'un comme dans l'autre cas". C'est pour cette raison que Platon leur reproche de faire de tout cela un jeu et de ne se soucier en rien de la vérité, contrairement au vrai philosophe. Dans la pratique, on sait aujourd'hui que les sophistes avaient aussi une pensée propre et qu'ils ne se contentaient pas de faire les marioles en tenant des discours creux et amoraux.
Evidemment, je ne fais ici que résumer très grossièrement la question : si jamais un spécialiste se perd suffisamment pour tomber ici, je précise que je suis tout à fait consciente que c'est beaucoup plus subtile que cela. Ceci dit, si ça intéresse quelqu'un ( on ne sait jamais ), dites-le-moi, je peux développer.
L'intrigue des Nuées est assez simple : Strepsiade, un paysan athénien, est griblé de dettes parce que son fils, Phidippide, est un fan d'équitation, au point de même passer ses nuits à en rêver. Or Strepsiade a entendu parler de l'enseignement d'un certain Socrate ( qu'Aristophane met allègrement plus ou moins dans le même sac que les sophistes ), qui permet de gagner à tous les coups en justice, ce qui l'intéresse d'autant plus que ses créanciers menacent maintenant de porter l'affaire au tribunal. Il essaie d'abord en vain de convaincre son fils d'entrer à l'école des sophistes ( appelée "le Pensoir" ), puis décide d'y aller lui-même. Le passage que je vous présente se situe juste au moment où Socrate fait sa première entrée en scène, assis dans une corbeille suspendue qui descend doucement jusqu'au sol ; Strepsiade était en train de discuter avec un disciple, sur le pas de la porte du Pensoir. Je n'ai malheureusement pas réussi à conserver la répartition typographique des vers entre les différentes répliques, je vous la signale par des "\".
ΜΑ : Αὐτός.
ΣΤ : Τίς αὐτός ;
ΜΑ : Σωκράτης.
ΣΤ : Ὦ Σώκρατης... \ Ἴθι οὗτος, ἀναβόησον αὐτόν μοι μέγα \
ΜΑ : Αὐτὸς μὲν οὖν σὺ κάλεσον * οὐ γάρ μοι σχολή. \
ΣΤ : Ὦ Σώκρατης, \ ὦ Σωκρατίδιον...
ΣΩ : Τί με καλεῖς, ὦφήμερε ; \
ΣΤ : Πρῶτον μὲν ὅ τι δρᾶς, ἀντιβολῶ, κάτειπέ μοι. \
ΣΩ : Ἀεροβατῶ καὶ περιφρονῶ τὸν ἥλιον. \
ΣΤ : Ἔπειτ' ἀπὸ ταρροῦ τοὺς θεοὺς ὑπερφρονεῖς, \ ἀλλ' οὐκ ἀπὸ τῆς γῆς, εἴπερ ;
ΣΩ : Οὐ γὰρ ἄν ποτε \ ἐξηῦρον ὀρθῶς τὰ μετέωρα πράγματα, \ εἰ μὴ κρεμάσας τὸ νὀημα καὶ τὴν φροντίδα \ λεπτὴν καταμείξας εἰς τὸν ὅμοιον ἀέρα. \ Εἰ δ' ὤν χαμαὶ τἄνω κάτωθεν ἐσκόπουν, \ οὐκ ἄν ποτ' ηὗρον * οὐ γὰρ ἀλλ' ἡ γῆ βίᾳ \ ἕλκει πρὸς αὑτὴν τὴν ἰκμάδα τῆς φροντίδος. \ Πάσχει δὲ ταὐτὸ τοῦτο καὶ τὰ κάρδαμα. \
ΣΤ : Τί φῆς ; \ Ἠ φορντὶς ἕλκει τὴν ἰκμαδ' εἰς τὰ κάρδαμα ;
Disciple : C'est Lui !
Strepsiade : Qui, "Lui" ?
Disciple : Socrate !
Strepsiade : Socrate...! Va, toi, appelle-le-moi à grands cris.
Disciple : Appelle-le donc toi même, car je n'ai pas le temps.
Strepsiade : Socrate ! Mon Socratinou !
Socrate : Pourquoi m'appelles-tu, créature d'un jour ?
Strepsiade : Tout d'abord, ce que tu fais, je t'en prie, explique-le-moi.
Socrate : Je marche dans les airs et j'observe de tous côtés le soleil.
Strepsiade : Alors tu regardes de haut les dieux depuis une claie, mais pas depuis la terre, au moins.
Socrate : C'est que je n'aurais jamais découvert correctement les choses célestes, sauf avoir suspendu mon esprit et bien mêlé ma pensée, devenue subtile, dans l'air semblable. Tandis que, si j'étais à terre et que j'avais observé d'en bas ce qui est en haut, je n'aurais jamais trouvé. Non, en effet, mais la terre, par force, attire à elle la sève de la pensée. Ce même phénomène arrive aussi au cresson.
Strepsiade : Qu'est-ce que tu dis ? La pensée attire la sève vers le cresson ?
C'est court, je sais, mais j'ai encore un oral demain ( le grec sur programme, précisément ) et les scènes d'Aristophane sont tellement difficiles à couper que c'est soit ça, soit trois ou quatre pages, et la latiniste que je suis tape très lentement le grec. Si vous en voulez plus, allez voir dans le bouquin !
Pour une fois, Les Nuées ne se font pas l'apôtre de la paix, comme les deux premières pièces du comique athénien, Les Acharniens et Les Cavaliers, mais traitent des nouvelles idées en vogue à Athènes sur l'éducation, en particulier de l'enseignement des sophistes. Pour résumer assez grossièrement, les sophistes étaient des professeurs itinérants qui, moyennant finances, proposaient d'enseigner aux jeunes gens l'art oratoire. Un de leurs principaux arguments publicitaires étaient : "grâce à nous, vous pourrez soutenir une chose et son contraire... et vaincre dans l'un comme dans l'autre cas". C'est pour cette raison que Platon leur reproche de faire de tout cela un jeu et de ne se soucier en rien de la vérité, contrairement au vrai philosophe. Dans la pratique, on sait aujourd'hui que les sophistes avaient aussi une pensée propre et qu'ils ne se contentaient pas de faire les marioles en tenant des discours creux et amoraux.
Evidemment, je ne fais ici que résumer très grossièrement la question : si jamais un spécialiste se perd suffisamment pour tomber ici, je précise que je suis tout à fait consciente que c'est beaucoup plus subtile que cela. Ceci dit, si ça intéresse quelqu'un ( on ne sait jamais ), dites-le-moi, je peux développer.
L'intrigue des Nuées est assez simple : Strepsiade, un paysan athénien, est griblé de dettes parce que son fils, Phidippide, est un fan d'équitation, au point de même passer ses nuits à en rêver. Or Strepsiade a entendu parler de l'enseignement d'un certain Socrate ( qu'Aristophane met allègrement plus ou moins dans le même sac que les sophistes ), qui permet de gagner à tous les coups en justice, ce qui l'intéresse d'autant plus que ses créanciers menacent maintenant de porter l'affaire au tribunal. Il essaie d'abord en vain de convaincre son fils d'entrer à l'école des sophistes ( appelée "le Pensoir" ), puis décide d'y aller lui-même. Le passage que je vous présente se situe juste au moment où Socrate fait sa première entrée en scène, assis dans une corbeille suspendue qui descend doucement jusqu'au sol ; Strepsiade était en train de discuter avec un disciple, sur le pas de la porte du Pensoir. Je n'ai malheureusement pas réussi à conserver la répartition typographique des vers entre les différentes répliques, je vous la signale par des "\".
ΜΑ : Αὐτός.
ΣΤ : Τίς αὐτός ;
ΜΑ : Σωκράτης.
ΣΤ : Ὦ Σώκρατης... \ Ἴθι οὗτος, ἀναβόησον αὐτόν μοι μέγα \
ΜΑ : Αὐτὸς μὲν οὖν σὺ κάλεσον * οὐ γάρ μοι σχολή. \
ΣΤ : Ὦ Σώκρατης, \ ὦ Σωκρατίδιον...
ΣΩ : Τί με καλεῖς, ὦφήμερε ; \
ΣΤ : Πρῶτον μὲν ὅ τι δρᾶς, ἀντιβολῶ, κάτειπέ μοι. \
ΣΩ : Ἀεροβατῶ καὶ περιφρονῶ τὸν ἥλιον. \
ΣΤ : Ἔπειτ' ἀπὸ ταρροῦ τοὺς θεοὺς ὑπερφρονεῖς, \ ἀλλ' οὐκ ἀπὸ τῆς γῆς, εἴπερ ;
ΣΩ : Οὐ γὰρ ἄν ποτε \ ἐξηῦρον ὀρθῶς τὰ μετέωρα πράγματα, \ εἰ μὴ κρεμάσας τὸ νὀημα καὶ τὴν φροντίδα \ λεπτὴν καταμείξας εἰς τὸν ὅμοιον ἀέρα. \ Εἰ δ' ὤν χαμαὶ τἄνω κάτωθεν ἐσκόπουν, \ οὐκ ἄν ποτ' ηὗρον * οὐ γὰρ ἀλλ' ἡ γῆ βίᾳ \ ἕλκει πρὸς αὑτὴν τὴν ἰκμάδα τῆς φροντίδος. \ Πάσχει δὲ ταὐτὸ τοῦτο καὶ τὰ κάρδαμα. \
ΣΤ : Τί φῆς ; \ Ἠ φορντὶς ἕλκει τὴν ἰκμαδ' εἰς τὰ κάρδαμα ;
Disciple : C'est Lui !
Strepsiade : Qui, "Lui" ?
Disciple : Socrate !
Strepsiade : Socrate...! Va, toi, appelle-le-moi à grands cris.
Disciple : Appelle-le donc toi même, car je n'ai pas le temps.
Strepsiade : Socrate ! Mon Socratinou !
Socrate : Pourquoi m'appelles-tu, créature d'un jour ?
Strepsiade : Tout d'abord, ce que tu fais, je t'en prie, explique-le-moi.
Socrate : Je marche dans les airs et j'observe de tous côtés le soleil.
Strepsiade : Alors tu regardes de haut les dieux depuis une claie, mais pas depuis la terre, au moins.
Socrate : C'est que je n'aurais jamais découvert correctement les choses célestes, sauf avoir suspendu mon esprit et bien mêlé ma pensée, devenue subtile, dans l'air semblable. Tandis que, si j'étais à terre et que j'avais observé d'en bas ce qui est en haut, je n'aurais jamais trouvé. Non, en effet, mais la terre, par force, attire à elle la sève de la pensée. Ce même phénomène arrive aussi au cresson.
Strepsiade : Qu'est-ce que tu dis ? La pensée attire la sève vers le cresson ?
C'est court, je sais, mais j'ai encore un oral demain ( le grec sur programme, précisément ) et les scènes d'Aristophane sont tellement difficiles à couper que c'est soit ça, soit trois ou quatre pages, et la latiniste que je suis tape très lentement le grec. Si vous en voulez plus, allez voir dans le bouquin !
5 commentaires:
Je viens de tomber sur votre blog. Traduire Aristophane dans le texte, bravo. Je vais éplucher vos articles s'ils sont tous du même niveau
Merci des encouragements ! :)
Je passais l'agrégation lorsque j'ai posté cette traduction, qui n'est, bien sûr, qu'un tout petit bout des "Nuées". Et heureusement que j'arrive à le traduire dans le texte, parce que je suis tombée sur la fin de la parabase à l'oral...!
Si vous êtes intéressé, j'ai aussi fait une note sur la "Théogonie" d'Hésiode et les "Histoires d'Alexandre" de Quite-Curce (qui ressort plus de ce que j'étudie habituellement : cf. mon blog "universitaire").
Pareil que François. Votre traduction me semble plus intéressante que celle que j'ai trouvée là : http://remacle.org/bloodwolf/comediens/Aristophane/nuees.htm (mais celle-ci a l'avantage d'être intégrale.)
Bon ceci dit, je précise que je n'ai jamais fait de grec...
Tu as raison, Aristophane est génial !
Je trouve cette traduction beaucoup plus fidèle au texte original que celle de Remacle.
Et le passage correspond exactement à celui que je dois commenter, donc un grand merci !
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